Bertran de Born (v. 1140 – v. 1215), serait né au château de Born, aujourd'hui disparu, sur la commune de Salagnac (Dordogne), seigneur d'Hautefort, à la frontière entre Limousin et Périgord.
Jean-Pierre Thuillat a également fait de nombreuses recherches sur ce troubadour singulier et les a regroupées dans sa biographie[note 1].
Vie
Bertran de Born étant vavasseur[1], sa seigneurie n'était pas divisible. Il était donc conjointement seigneur d'Hautefort avec son frère, Constantin, lequel avait comme lui épousé une Lastours.
On trouve d'autres cas de coseigneuries parmi les troubadours, le plus célèbre étant celui des « quatre troubadours d'Ussel », trois frères et un cousin. Le XIIe siècle a été marqué par ce que les historiens du Moyen Âge considèrent comme un « renouveau de l'État », du moins de l'idée princière. Les seigneuries qui s'étaient rendues indépendantes dans le passé[note 2] entrèrent en concurrence avec des principautés territoriales — le duché d'Aquitaine, le comté de Barcelone et de Provence, le comté de Toulouse, puis la royauté française après la croisade albigeoise du XIIIe siècle — qui leur contestaient leur « mini-États ». Un des moyens employés par les principautés territoriales pour diminuer l'influence des châtelains locaux fut de recourir aux luttes féodales internes de leurs familles.
C'est ainsi que Bertran de Born entra en conflit avec son propre frère, passé sous le giron des Plantagenêt — devenus après 1154 et le mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri II suzerains du Limousin. Dès lors, Bertran de Born eut toutes les difficultés pour faire valoir son droit à être seigneur indépendant d'Hautefort. Cette lutte pour l'indépendance est au cœur de la poésie de Bertran de Born, qui aborde quasiment exclusivement des thèmes politiques. Gérard Gouiran a retracé les allées et venues du pouvoir du troubadour sur son bout de territoire.
Il suffit de dire que Bertran de Born chercha lui-même à jouer sur les dissensions à l'intérieur de la famille des Plantagenêt afin de garder son indépendance, mais qu'il fut contraint finalement d'aller s'humilier publiquement devant la famille de ses suzerains lorsqu'elle fut réconciliée. Il incita les fils de Henri II à lutter contre leur père, soit parce qu'il les considérait comme des chefs nationaux, à cause du sang aquitain que leur avait transmis leur mère, soit parce qu'il voulait perdre ces princes en les dressant les uns contre les autres. Il fut lié surtout avec l'aîné Henri le Jeune. Étant tombé entre les mains du roi d'Angleterre Henri II, il n'avait eu pour obtenir son pardon qu'à éveiller le souvenir de ce jeune prince. Henri II lui rendit son château.
Après la mort de Richard Cœur de Lion, il renonça aux intrigues politiques ainsi qu'à la guerre, et finit par se retirer à l'abbaye de Dalon — fondée au XIIe siècle à Sainte-Trie (Dordogne) par Géraud de Salles et que son beau-père, le grand Gouffier de Lastours, avait contribué à fonder. Il y termina sa vie.
Œuvres
Bertran de Born en enfer levant sa tête décapitée. Illustration de Gustave Doré pour une édition de l'Enfer de Dante.
Bertran de Born fut l'un des maîtres du sirvente politique. Sa poésie, qui aborde des thèmes parfois très violents comme lorsqu'il chante la joie de la guerre, est à placer parmi les œuvres majeures de la poésie occitane médiévale.
Dante a représenté Bertran de Born au chant XXVIII de son Enfer, en compagnie des semeurs de discorde ; en sa qualité de conseiller du prince, il est jugé responsable du conflit entre le roi Henri II d'Angleterre et son fils Henri le Jeune[2].
L'image de Bertran de Born arrivant aux enfers, décrite par Dante, a d'ailleurs inspiré Paul Auster dans son livre Invisible.
Le poète allemand Heinrich Heine, curieux du personnage, a consacré à son pouvoir de séduction trois strophes charmantes, où rien ne choquera l'historien. Ezra Pound lui a consacré le poème Sestina : Altaforte[3].
Ci-dessous, deux extraits de Bem platz lo gais temps de pascor :
1er extrait
Il me plaît de voir sur les prés,
tentes et pavillons dressés.
Et j'ai grande allégresse
quand vois, par campagne rangés
chevaliers et chevaux armés.
— traduction française
E platz mi quan vei per lo pratz Tendas e pabalhos fermatz. E ai grant alegratge Quen vei per champanha renjatz Chavaliers e chavaus armatz.
— Version originale occitane
2e extrait
Barons mettez en gage
châteaux, ville et cités
plutôt que de ne pas [chacun] vous faire la guerre.
— Traduction française
Baron, metetz en gatge Castels e vilas e ciutatz Enans q'usqecs no·us gerreiatz.
— Version originale occitane
↑Jean-Pierre Thuillat, Bertran de Born, Histoire et légende, Éditions Fanlac, .
↑Elles s'étaient rendues indépendantes dès l'époque carolingienne, pour Dominique Barthélémy, autour de l'an 1000 dans une hypothèse plus traditionnelle.
Références
↑Marc Bloch, « Les distinctions de classes à l’intérieur de la noblesse » texte en ligne, p. 315.
Léon Clédat, Du rôle historique de Bertrand de Born (1175-1200), Paris, Ernest Thorin, coll. « Bibliothèque des écoles françaises d'Athènes et de Rome », , 123 p. (lire en ligne)
Stanisław Stroński, La Légende amoureuse de Bertran de Born. Critique historique de l'ancienne biographie provençale, appuyée de recherches sur les comtes de Périgord, les vicomtes de Turenne, de Ventadour, de Comborn, de Limoges, et quelques autres familles, Paris, Champion, 1914, VIII-202 p. ; réimpr. Genève, Slatkine, 1973 (lire en ligne sur Internet Archive).
R. de Boysson, Études sur Bertrand de Born : sa vie, ses œuvres et son siècle, Genève, Slatkine Reprints, 1973 (1902), 419 p.
Gérard Gouiran, Le seigneur troubadour d’Hautefort : l’œuvre de Bertran de Born, Aix-en-Provence, université de Provence, 1987, 643 p.
Jean-Pierre Thuillat, Bertran de Born, Histoire et légende, Éditions Fanlac, .