Au début du XXe siècle, il était devenu clair que la lumière présentait une dualité onde-corpuscule, c'est-à-dire qu'elle pouvait se manifester, selon les circonstances, soit comme une particule, le photon, soit comme une onde électromagnétique. Louis de Broglie proposa de généraliser cette dualité à toutes les particules connues[1]. L'hypothèse de de Broglie eut pour conséquence a priori paradoxale la production d'interférences par les électrons — à l'instar de la lumière — ce qui fut vérifié ultérieurement par l'expérience de Davisson-Germer. Par analogie avec le photon, Louis de Broglie associa ainsi à chaque particule libre d'énergie et de quantité de mouvement une fréquence et une longueur d'onde :
L'interprétation physique communément admise de la fonction d'onde de Schrödinger ne fut donnée qu'en par Max Born. En raison du caractère probabiliste qu'elle introduisait, la mécanique ondulatoire de Schrödinger suscita initialement de la méfiance chez quelques physiciens de renom comme Albert Einstein, pour qui « Dieu ne joue pas aux dés »[a].
La démarche historique
L'équation de Schrödinger a d'abord été formulée sous la forme suivante[2] :
Le schéma conceptuel utilisé par Schrödinger pour obtenir son équation repose sur une analogie formelle entre l'optique et la mécanique.
En optique physique, l'équation de propagation dans un milieu transparent d'indice réel variant lentement à l'échelle de la longueur d'onde conduit — lorsqu'on cherche une solution monochromatique dont l'amplitude varie très lentement devant la phase — à une équation approchée dite de l'eikonale. C'est l'approximation de l'optique géométrique, à laquelle est associé le principe variationnel de Fermat.
Ce parallèle avait été noté dès par Hamilton, mais celui-ci n'avait alors pas de raison de douter de la validité de la mécanique classique. Après l'hypothèse de de Broglie de , Schrödinger s'est dit[3] : l'équation de l'eikonale étant une approximation de l'équation d'onde de l'optique physique, cherchons l'équation d'onde de la « mécanique ondulatoire » (à construire) dont l'approximation soit l'équation de Hamilton-Jacobi. Ce qu'il a fait, d'abord pour une onde stationnaire (E = constante), puis pour une onde quelconque[4].
Remarque : Schrödinger avait en fait commencé par traiter le cas d'une particule relativiste — comme d'ailleurs de Broglie avant lui[5]. Il a alors obtenu l'équation connue aujourd'hui sous le nom de équation de Klein-Gordon, mais son application au cas du potentiel coulombien donnant des niveaux d'énergie incompatibles avec les résultats expérimentaux de l'atome d'hydrogène[6], il se serait rabattu sur le cas non relativiste, avec le succès que l'on connaît.
Démonstration élémentaire
Une fois établi le parallèle entre l'optique et la mécanique hamiltonienne — c’est-à-dire la partie non triviale du raisonnement —, la fin de la dérivation est relativement élémentaire. En effet, l'équation d'onde satisfaite par l'amplitude spatiale d'une onde monochromatique de pulsation fixée dans un milieu d'indice n lentement variable s'écrit :
On introduit le nombre d'onde k dans le milieu d'indice n, tel que :
La longueur d'onde dans le milieu est définie par . L'équation de Helmholtz se réécrit :
On utilise alors la relation de de Broglie pour une particule non relativiste, pour laquelle la quantité de mouvement p = m v :
Or, l'énergie cinétique s'écrit pour une particule non relativiste :
d'où l'équation de Schrödinger stationnaire :
En introduisant le quantum d'action , on la met sous la forme habituelle :
Il ne reste plus qu'à réintroduire le temps t en explicitant la dépendance temporelle pour une onde monochromatique, puis en utilisant la relation de Planck-Einstein :
On obtient finalement l'équation de Schrödinger générale :
est l'hamiltonien, dépendant du temps en général, l'observable correspondant habituellement[b] à l'énergie totale du système.
Cas particulier
En précisant la forme de l'opérateur hamiltonien (grâce au principe de correspondance), pour une particule de masse soumise à un potentiel , l'équation prend la forme[7] :
L'équation de Schrödinger étant une équation vectorielle, on peut la réécrire de façon équivalente dans une base particulière de l'espace des états. Si on choisit par exemple la base correspondant à la représentation de position(en) définie par
,
alors la fonction d'onde satisfait à l'équation suivante
où est le laplacien scalaire. En effet l'observable position ne dépend pas du temps, donc ses états propres n'en dépendent pas non plus : .
Sous cette forme on voit que l'équation de Schrödinger est une équation aux dérivées partielles faisant intervenir des opérateurs linéaires, ce qui permet d'écrire la solution générique comme la somme des solutions particulières. L'équation est dans la grande majorité des cas trop compliquée pour admettre une solution analytique, de sorte que sa résolution est approchée ou numérique.
Recherche des états propres
Les opérateurs apparaissant dans l'équation de Schrödinger sont des opérateurs linéaires ; il s'ensuit que toute combinaison linéaire de solutions est solution de l'équation. Cela mène à favoriser la recherche de solutions qui ont un grand intérêt théorique et pratique : à savoir les états qui sont propres de l'opérateur hamiltonien.
Ces états sont donc solutions de l'équation aux états et valeurs propres :
qui porte parfois le nom d’équation de Schrödinger indépendante du temps. L'état propre est associé à la valeur propre , scalaire réel, énergie de la particule dont est l'état.
Les valeurs de l'énergie peuvent être discrètes comme les solutions liées d'un puits de potentiel (par exemple niveaux de l'atome d'hydrogène) ; il en résulte une quantification des niveaux d'énergie. Elles peuvent aussi correspondre à un spectre continu comme les solutions libres d'un puits de potentiel (par exemple un électron ayant assez d'énergie pour s'éloigner à l'infini du noyau de l'atome d'hydrogène).
Il arrive souvent que plusieurs états correspondent à une même valeur de l'énergie : on parle alors de niveaux d'énergie dégénérés.
D'une façon générale, la détermination de chacun des états propres de l'hamiltonien, , et de l'énergie associée, fournit l'état stationnaire correspondant, solution de l'équation de Schrödinger :
Une solution de l'équation de Schrödinger peut alors s'écrire très généralement comme une combinaison linéaire de tels états :
La recherche des états propres de l'hamiltonien est en général complexe. Même le cas analytiquement soluble de l'atome d'hydrogène ne l'est rigoureusement sous forme simple que si l'on néglige le couplage avec le champ électromagnétique qui va permettre le passage des états excités, solutions de l'équation de Schrödinger de l'atome, vers le fondamental.
Certains modèles simples, bien que non tout à fait conformes à la réalité, peuvent être résolus analytiquement et s'avèrent très utiles :
↑Lors d'un débat, Niels Bohr se disputait avec Albert Einstein à propos de la réalité de la physique quantique. À un moment donné Einstein, excédé, jeta à Niels Bohr : « Dieu ne joue pas aux dés ! », ce à quoi Bohr répondit : « Qui êtes-vous, Einstein, pour dire à Dieu ce qu'il doit faire ? ». Cet échange est devenu célèbre par la suite.
↑Schrödinger discute en détail des relations entre mécanique hamiltonienne et optique dans le deuxième mémoire de 1926 (cf. bibliographie). Cf. Walter Moore, Schrödinger — Life & Thought, Cambridge University Press (1989).
↑Détails dans : Herbert Goldstein, Classical mechanics, Addison-Wesley (2e édition-1980), paragraphe 10.8, p. 484-492.
↑Abraham Païs, Inward Bound, Oxford University Press (1986).
↑La formule de Balmer obtenue est correcte, mais la structure fine est incorrecte.
Erwin Schrödinger, Mémoires sur la mécanique ondulatoire, Félix-Alcan, Paris, 1933. Réédition Jacques Gabay, préface de Marcel Brillouin, 1988 (ISBN2-87647-048-9) — Avant-propos de l'auteur et notes inédites spécialement écrites pour cette traduction. — Contient la traduction française par Alexandre Proca des mémoires historiques de 1926 :
« Quantification et valeurs propres (I) et (II) », Annalen der Physik (4), 79, 1926 ;
« Quantification et valeurs propres (III) — Théorie des perturbations avec application à l'effet Stark des raies de Balmer », Annalen der Physik (4) 80, 1926 ;
« Quantification et valeurs propres (IV) », Annalen der Physik (4), 81, 1926 ; ainsi que les articles suivants :
« Le passage continu de la micro-mécanique à la mécanique macroscopique », Die Naturwissenschaften, 14e année, 28, 1926, p. 664-666 ;
« Sur l'effet Compton », Annalen der Physik (4), 82, 1927 ;
« Le théorème de la conservation d'énergie et de quantité de mouvement pour les ondes matérielles », Annalen der Physik (4), 82, 1927 ;
« Échanges d'énergie d'après la mécanique ondulatoire », Annalen der Physik (4), 83, 1927 ; « Additions ».