Ryū Murakami passe son enfance dans une ville portuaire abritant une base navale des forces armées des États-Unis où il subit très tôt l'influence de la culture occidentale[1].
En 1968, alors qu'il est étudiant à l'école secondaire de la préfecture de Sasebo Kita, il assiste à la protestation des Zengakuren (Fédération japonaise des associations d'autogestion étudiantes) contre l'arrivée du porte-avions nucléaire américain Enterprise[1]. L'année suivante, il est suspendu de son école après avoir installé une barricade sur le toit de l'établissement en guise de protestation contre la présence de l'armée américaine[1]. Ce climat de tension d'après-guerre, ces années de jeunesse « corromp[ues] par l'Amérique »[1] imprégneront profondément l'imaginaire de l'écrivain.
Entre 1970 et 1972, Murakami s'installe à Tokyo dans la ville de Fussa où se situe la Yokota Air Base. Il étudie ensuite le design à l'université d'art de Musashino (武蔵野美術大学, Musashino bijutsu daigaku, préfecture de Tōkyō)[2]. En 1976, il publie son premier roman, Bleu presque transparent, qui obtient la même année le prestigieux Prix Akutagawa [2] et le Prix Gunzō du nouveau talent[1]. Ce premier roman donne le ton à son œuvre à venir : une jeunesse décadente immergée dans une culture du sexe, de la violence et du rock. Succès immédiat au Japon, ce roman s'est vendu à près d'un million d'exemplaires en six mois[2].
Le cinéaste Takashi Miike a adapté l'un de ses romans sous le titre Audition, film sorti en France en (Mention spéciale de l'International Fantasy Film - prix au Festival International de Rotterdam).
À l'exception de son roman autobiographique, 1969, où il décrit avec humour le déroulement du Mai 68 japonais dans une ville moyenne flanquée d'une base américaine (Sasebo), l'œuvre de Murakami est extrêmement sombre et pessimiste. 1969, roman musical et souvent jouissif, est le livre des dix-sept ans de l'auteur. C'est le temps des premiers pas dans le monde adulte, un univers non moins difficile à décoder au Japon qu'ailleurs quand on refuse l'autorité et que l'on cherche la liberté du côté du rock et du cinéma, américains cela s'entend. Un American Graffiti nippon, tout aussi excentrique et douceâtre, avec un sentiment d'interdit plus fort. A l'inverse, son premier roman, Bleu Presque Transparent récipiendaire du Prix Akutagawa traite de manière différente de la jeunesse rebelle d'Okinawa. Si dans 1969, Murakami gardait une certaine fraicheur, dans Bleu Presque Transparent il se plonge violemment dans le sexe et la drogue, jusqu'au dégoût qui clot le livre.
Tout le reste de sa production, du moins celle accessible en français, renvoie le reflet d'une société japonaise fidèle à certaines caricatures qui peuvent sembler outrancières. Individus isolés, perdus dans le monde d'Internet (Parasites), enfants marginaux et abandonnés dans l'immensité inhumaine des métropoles (Les Bébés de la consigne automatique), exclus des mondes parallèles de la prostitution et des bars glauques (Miso Soup, Les Bébés...), cauchemars sectaires et terroristes (Les Bébés, Parasites, Chansons populaires de l'ère Showa).
Murakami analyse froidement son temps et revisite l'histoire, interdite, d'un Japon brutal et guerrier. Son Japon est celui du délire technologique, de la surconsommation, de la violence gratuite, de l'abandon lent et progressif des traditions, de la destruction des liens familiaux et collectifs développés par la société nippone autour d'un principe d'assujettissement absolu aux lois de la communauté. Dans l'univers du romancier, l'adolescent pseudo-révolutionnaire est devenu un adulte qui jette un regard sans concession sur ses congénères.
Mais c'est peut-être Parasites qui résume à lui seul toute l'œuvre de Murakami. Un jeune homme, un de ceux qui sont en complète rupture avec école et famille et qui ne communiquent plus qu'à travers Internet, est persuadé qu'un ver est entré dans son corps. Il prend contact avec une organisation qui va le pousser à commettre des meurtres. Internet isole mais entraîne aussi vers l'autre, y compris pour le détruire. Le ver parasite est en chacun de nous, comme une présence d'étrangeté et d'horreur qui saurait tous nous pénétrer, menant à la recherche (inquiétante et malsaine) de soi dans la mort de l'autre à travers la technologie, la théorie du complot. A moins que l'oeuvre la plus représentative de Murakami soit la trilogie composée de Ecstasy, Melancholia et Thanatos, suite de romans ayant pour fil rouge une relation sado-masochiste; chacun des romans se cloturant par la mort, pathétique, du personnage principal. Avant l'issue tragique Murakami nous livre une succession de scènes choquantes encadrées par des digressions décousues, digressions composant l'essentiel de sa création.
Liste des œuvres
Romans
1976 : Bleu presque transparent (限りなく透明に近いブルー), traduit par Guy Morel et Georges Belmont, Robert Laffont, 1978 ; Picquier Poche, 1997.
1977 : La Guerre commence au-delà de la mer (海の向こうで戦争が始まる), traduit par Claude Okamoto, Robert Laffont, 1981 ; Picquier poche, 1997.