Dans un site de centre d'appels de Valence (Drôme), le vendredi , vers 19h30, le téléconseiller Vincent Fournier, épuisé, vidé, essoré, suivi depuis quatre ans, vient, visage cadavérique, en consultation au cabinet du médecin du travail de l'entreprise, Dr Carole Matthieu, refuse un nouvel arrêt de travail, demande à rester en poste, est traité aux antidépresseurs. Une heure plus tard, le docteur repasse le voir et l'abat au Beretta 92 : un acte médical. En même temps qu'un soulagement (p. 17), extrême-onction (p. 54).
Le contexte est celui du stress des centres d'appels téléphoniques : méthodes managériales, organisation du travail, règles de travail modifiées chaque semaine, tensions, agressions, harcèlements, humiliations, consultations médicales, arrêts de travail, syndromes d'épuisement professionnel, suicides. Le récit est mené par Carole Matthieu, elle-même sous amphétamines, tranquillisants, sédatifs (Xanax, Rivotril, Pondéral, Isoméride, Stilnox). Elle repasse en revue les dossiers médicaux de ses patients, les courriers internes de l'entreprise, les rapports psychiatriques extérieurs des employés, rapports de l'Inspection du travail...
Le lundi , l'enquête sur le meurtre, tardivement découvert, est engagée. Les collègues se pressent en consultation. Un médecin est appelé en renfort. Le vigile est arrêté.
À 18h, se tient une réunion exceptionnelle du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
L'assistant au directeur propose de communiquer sur une prime annuelle de cent cinquante euros et l'embauche de sept téléconseillers en intérim.
Carole Matthieu menace de déposer une demande d'expertise pour non-respect de la législation en matière de santé, pratiques managériales irresponsables et non-assistance à personne en danger de mort (p. 125).
Puis, bien que sa fille doive manger avec elle, elle accepte l'invitation au restaurant du lieutenant Revel.
Le mardi , vers 2h du matin, Patrick Soulier est retrouvé pendu au portail d'entrée de l'entreprise. Etc...
Le roman s'intéresse évidemment aussi au stress du médecin du travail, un contre-pouvoir urticant, [...] une sorte de camp retranché en territoire hostile (p. 40) : tu es la seule à pouvoir les sauver (p. 71) de cet homicide programmé, concerté et organisé (p. 28). Dans le monde du travail tel qu'il existe aujourd'hui, qui peut faire la différence entre les morts volontaires et ceux qu'on mène à l'abattoir (p. 317) ? Sa conscience professionnelle s'appuie sur une fragilité accentuée par ce qu'elle a vécu dans cette entreprise qui connaît le plus fort taux de suicide par salarié du pays (p. 40). Le Dr Carole Matthieu fait également référence au soleil noir des Lettres à Franca de Louis Althusser.
Personnages
Vincent Fournier, 52 ans, téléconseiller, dans un centre d'appels, non syndiqué
Dr Carole Matthieu, 42 ans, ex-urgentiste, médecin du travail, employée salariée du site et sur six autres dans la zone de Valence (Drôme), sautes d'humeur
son ancien mari, chasseur de têtes
Vanessa, leur fille
Éric Vuillemenot, directeur du site, prix Manager de l'année 2008
Jean-Jacques Fraysse, assistant du directeur
Éric Saint-André, Ressources humaines, détaché de Paris pour l'occasion
Patrick Soulier, 50 ans, vigile du site
Christine Pastres, responsable d'équipe d'appels, jugée dure, agressée par Vincent Fournier en 2008
Richard Level, 28-29 ans, lieutenant de police, de la brigade criminelle de Valence
Alain Pettinotti, délégué syndical réformiste
Sylvain Pelicca, délégué syndical fiable
Hafid Ben Ali, Claude Goujou, délégués du personnels encore moins fiables
Hervé Sartis, 49 ans, employé, suicidaire
Roger Vidal, 28 ans, ancien cadre
Salima Yacoubi, 58 ans, agent(e) d'entretien, violée par Roger Vidal
Le lectorat français apprécie ce portrait cauchemardesque de certain monde du travail particulièrement soumis au harcèlement moral au travail[2],[3],[4],[5]
Trophée 813 du meilleur roman 2011, Grand Prix du roman noir du Festival international du film policier de Beaune 2011, Prix des lecteurs du Festival de Polar de Villeneuve-lès-Avignon 2012.
↑Christine Rousseau, « "Les Visages écrasés", de Marin Ledun : meurtres au bout du fil », Le Monde, (lire en ligne).
↑Christophe Dupuis, « Marin Ledun : "Bas prix et suicides en entreprise sont liés" », Bibliobs, (lire en ligne, consulté le ), tout à fait en phase avec diverses actualités, particulièrement en France.