Les lanthanides[1] sont une famille du tableau périodique comprenant les 15 éléments allant du lanthane (no 57) au lutécium (no 71). Avec le scandium et l'yttrium, ces éléments font partie des terres rares. Ils tirent leur nom du lanthane, premier de la famille, en raison de leurs propriétés chimiques très semblables à ce dernier, du moins pour les plus légers d'entre eux. On les désigne parfois sous le symbole chimique collectif Ln, qui représente alors n'importe quel lanthanide. Ce sont tous des éléments du bloc f, hormis le lutécium, qui appartient au bloc d. Ils forment tous des cations trivalents Ln3+ dont la chimie est très largement déterminée par leur rayon ionique, qui décroît régulièrement du lanthane au lutécium.
Propriétés générales
Ce sont des métaux brillants avec un éclat argenté qui ternit rapidement lorsqu'ils sont exposés à l'air libre. Ils sont de moins en moins mous au fur et à mesure que leur numéro atomique augmente. Leur température de fusion et leur température d'ébullition sont plus élevées que la plupart des métaux, hormis les métaux de transition. Ils réagissent violemment avec la plupart des non-métaux et brûlent dans l'air. Cette propriété est exploitée dans les pierres à briquet, qui sont constituées d'un alliage de lanthanides, le mischmétal.
Ces éléments ne sont pas rares dans le milieu naturel, le cérium58Ce étant le 26e ou 27e élément le plus abondant de l'écorce terrestre (abondance du même ordre que celle du cuivre). Le néodyme60Nd est plus abondant que le cobalt, le lutécium71Lu (le moins abondant des lanthanides non radioactifs) est cependant plus abondant que l'argent, et le thulium est plus abondant que l'iode.
Les lanthanides vérifient assez bien l'effet d'Oddo-Harkins, selon lequel les éléments de numéro atomique supérieur à 4 sont plus abondants dans l'univers lorsque leur numéro atomique est pair que lorsqu'il est impair.
La température de fusion des lanthanides augmente globalement du lanthane (920 °C) au lutécium (1 652 °C). On pense qu'elle dépend du degré d'hybridation entre les orbitales 6s, 4f et 5d. Cette hybridation serait à son maximum au niveau du cérium, qui, avec une configuration électronique[Xe] 6s2 4f1 5d1, a la plus faible température de fusion de la famille (795 °C).
Propriétés métalliques
L'europium, avec une configuration électronique [Xe] 6s2 4f7 caractérisée par une sous-couche 4f à moitié remplie, se démarque par sa masse volumique sensiblement plus faible (5,264g·cm-3) que celle de tous les autres lanthanides, et son rayon métallique plus élevé (208,4pm) que celui de tous les autres lanthanides. Il peut être comparé au baryum, dont le rayon métallique est de 222pm. On pense que l'europium métallique est formé d'ions Eu2+ envoyant chacun seulement deux électrons dans la bande de conduction. L'ytterbium, avec une configuration électronique [Xe] 6s2 4f14 caractérisée par une sous-couche 4f saturée, possède également un grand rayon métallique, et serait lui-aussi formé, à l'état métallique, de cations Yb2+ envoyant chacun deux électrons dans la bande de conduction.
La résistivité des lanthanides métalliques est relativement élevée, allant de 29 à 134μΩ·cm ; par comparaison, un bon conducteur électrique comme l'aluminium présente une résistivité de 2,655μΩ·cm.
À l'exception du lanthane et du lutécium, tous les cations trivalents Ln3+ possèdent des électrons célibataires dans la sous-couche 4f. Leur moment magnétique varie cependant sensiblement de leur valeur déduite uniquement du spin, en raison d'un fort couplage spin-orbite. Le nombre maximum d'électrons célibataires est atteint avec l'ion Gd3+, dont le moment magnétique est de 7,94 M.B. tandis que les moments magnétiques les plus élevés (10,4–10,7M.B.) sont observés pour les ions Dy3+ et Ho3+. Cependant, tous les électrons du Gd3+ ont un spin parallèle, ce qui est important dans l'utilisation du gadolinium comme agent de contraste en imagerie par résonance magnétique.
La levée de dégénérescence des orbitales 4f dans les ions de lanthanides est assez réduite, avec une distribution des niveaux d'énergie plus étroite que le couplage spin-orbite. Les transitions entre orbitales 4f sont interdites par la règle de Laporte(en). De plus, dans la mesure où ces orbitales sont relativement internes à l'atome, elles sont faiblement couplées aux vibrations moléculaires. Par conséquent, le spectre des ions de lanthanides est assez peu marqué et leurs bandes d'absorption sont également étroites. Les verres contenant de l'oxyde d'holmium(III) Ho2O3 et les solutions d'oxyde d'holmium(III) (généralement dans l'acide perchlorique HClO4) présentent des pics d'absorption intenses dans le domaine spectral de 200 à 900nm : ils sont disponibles sur le marché et peuvent être utilisés pour l'étalonnage de spectroscopes et monochromateurs[3].
Ils forment une famille très homogène caractérisée par le remplissage progressif de la sous-couche électronique 4f. Les éléments appartiennent donc au bloc f à l'exception du plus lourd, le lutécium71Lu, qui appartient au bloc d.
Les lanthanides sont souvent représentés indistinctement avec le pseudo-symbole chimique Ln. D'une manière générale, ils sont très électropositifs. Ils sont chimiquement très similaires au lanthane — d'où leur nom. Pour tous les lanthanides l'état d'oxydation +3 est le plus stable, avec une uniformité non égalée dans le tableau périodique. Naturellement et dans leurs composés synthétiques les plus courants, les lanthanides se présentent sous la forme de cations trivalents Ln3+, mais ils sont également tous susceptibles de former des cations divalents Ln2+ en solution[5]. Seuls le cérium58Ce (qui présente les états +3 et +4) et l'europium63Eu (qui présente les états +2 et +3) possèdent d'autres états d'oxydation aisément accessibles, ce qui permet par ailleurs de séparer ces éléments des autres lanthanides. Les lanthanides plus lourds que le cérium atteignent difficilement le degré d'oxydation +4. Cela s'explique par le fait que les orbitales f sont relativement internes : il est difficile d'enlever des électrons f. Leurs trications Ln3+ sont dits durs au sens de la théorie HSAB.
Le rayon ionique des cations Ln3+ décroît lorsque le numéro atomique augmente, phénomène appelé contraction des lanthanides : l'efficacité de l'écrantage du noyau par les électrons d'une orbitale f est en effet assez faible (l'ordre d'efficacité décroissante par orbitale atomique étant s > p > d > f) et ne compense pas entièrement la charge croissante du noyau atomique quand le numéro atomique augmente. Pour cette raison, le rayon ionique du Lu3+ est semblable à celui du Y3+ bien que le lutécium soit situé dans la 6e période juste au-dessus de l'yttrium, situé quant à lui dans la 5e période dans le tableau périodique.
Les propriétés des orbitales f font que les électrons qu'elles contiennent sont peu disponibles pour former des liaisons covalentes. Pour cette raison, les ions des lanthanides forment des complexes sans préférence en ce qui concerne leur géométrie de coordination. Les cations de lanthanides forment des complexes de coordination où le cation de lanthanide est typiquement entouré de 8 à 10 atomes donneurs, une coordinence plus élevée que pour les cations des métaux de transition.
L'énergie d'ionisation des lanthanides peut être comparée à celle de l'aluminium. Pour ce dernier, la somme des trois premières énergies d'ionisation s'élève à 5 139kJ·mol-1, tandis que cette somme est comprise dans l'intervalle 3 455-4 186kJ·mol−1 pour les lanthanides, ce qui est en accord avec le caractère chimiquement très réactif de ces éléments : elle est minimum pour le lanthane et maximum pour l'ytterbium, avec un maximum local pour l'europium, ce qui correspond au remplissage partiel de la sous-couche 4f pour l'europium et à la saturation de cette sous-couche pour l'ytterbium. Ces deux éléments forment des sels où ils sont à l'état d'oxydation +2, notamment des dihydrures. Ils présentent ainsi des similitudes avec les métaux alcalino-terreux. La somme des deux premières énergies d'ionisation de l'europium vaut d'ailleurs 1 632kJ·mol-1, à comparer à la somme équivalente du baryum, qui vaut 1 563,1kJ·mol-1.
La facilité relative avec laquelle un 4e électron peut être retiré du cérium et, dans une moindre mesure, du praséodyme, explique pourquoi des composés de cérium(IV) et de praséodyme(IV) peuvent se former : il se forme ainsi du dioxyde de cérium CeO2 plutôt que du sesquioxyde Ce2O3 lorsque le cérium réagit avec l'oxygène O2.
Séparation des lanthanides
Le fait que le rayon ionique de lanthanides adjacents soit très semblable fait qu'il est difficile de les séparer les uns des autres dans les minerais naturels et, plus généralement, lorsqu'ils sont mélangés. On procédait jadis en cascade et par cristallisation fractionnée. Dans la mesure où leur rayon est malgré tout légèrement différent, l'énergie réticulaire de leurs sels ainsi que l'énergie d'hydratation de leurs ions sont également légèrement différentes, d'où de légères différences de solubilité. On peut utiliser pour ce faire des sels de formule générique Ln(NO3)3·2NH4NO3·4H2O par exemple.
Dans l'industrie, on sépare les lanthanides par extraction liquide-liquide. On les extrait généralement d'une solution aqueuse de nitrates vers du kérosène contenant du phosphate de tributyle (CH3CH2CH2CH2O)3PO. Les complexes formés deviennent de plus en plus stables à mesure que le rayon ionique décroît, de sorte que la solubilité de la phase organique augmente. On peut réaliser une séparation complète en continu par échange à contre-courant(en). On peut également séparer les lanthanides par chromatographie à échange d'ions en tirant profit du fait que la constante de stabilité pour la formation de l'EDTA croît de logK ≈ 15,5 pour [La(EDTA)]− à logK ≈ 19,8 pour [Lu(EDTA)]−.
Les lanthanides interviennent également dans des domaines tels que la photocatalyse (« water splitting »), la photoluminescence, la formulation de matériaux avancés pour l'électronique, ainsi que dans l'industrie nucléaire, avec la conception de matrices d'accueil pour l'incorporation, le stockage et le retraitement d'actinides.
↑Ils sont parfois écrits lanthanoïdes en raison de la préconisation de l'IUPAC d'appeler ces éléments lanthanoids en anglais afin d'éviter toute confusion avec les anions minéraux, qui, en anglais, ont pour suffixe -ide : fluoride pour l'ion fluorureF−, chloride pour l'ion chlorure Cl−, halide pour halogénure, sulfide pour sulfure, etc. Assez peu suivie en anglais, cette recommandation l'est encore moins en français, d'autant plus que la confusion avec les anions minéraux est inexistante dans notre langue.
↑(en) CRC Handbook of Chemistry and Physics, section 1 : Basic Constants, Units, and Conversion Factors, sous-section : Electron Configuration of Neutral Atoms in the Ground State, 84e édition en ligne, CRC Press, Boca Raton, Floride, 2003.
↑(en) Roderick P. MacDonald, « Uses for a Holmium Oxide Filter in Spectrophotometry », Clinical Chemistry, vol. 10, , p. 1117-1120 (PMID14240747, lire en ligne)
↑(en) Albert K. Levine et Frank C. Palilla, « A New, Highly Efficient Red-Emitting Cathodoluminescent Phosphor (YVO4:Eu) for Color Television », Applied Physics Letters, vol. 5, no 6, , p. 118-120 (DOI10.1063/1.1723611, Bibcode1964ApPhL...5..118L, lire en ligne)
↑(en) Matthew R. MacDonald, Jefferson E. Bates, Joseph W. Ziller, Filipp Furche et William J. Evans, « Completing the Series of +2 Ions for the Lanthanide Elements: Synthesis of Molecular Complexes of Pr2+, Gd2+, Tb2+, and Lu2+ », Journal of the American Chemical Society, vol. 135, no 26, , p. 9857-9868 (PMID23697603, DOI10.1021/ja403753j, lire en ligne)