La Barbe bleue est un conte populaire communément dénommé Barbe bleue, dont la version la plus célèbre est celle de Charles Perrault, parue en dans Les Contes de ma mère l'Oye. C'est également le nom du personnage central du récit.
Résumé
Un homme riche est doté d'une barbe bleue, lui donnant un aspect laid et terrible. Il a déjà eu plusieurs épouses par le passé, et on ne sait pas ce qu'elles sont devenues. Il propose à ses voisines de l'épouser, mais aucune ne le souhaite. Finalement, l'une d'elles, séduite par les richesses de Barbe-Bleue, accepte.
Un mois après les noces, celui-ci annonce à sa femme qu'il doit partir en voyage. Il lui confie un trousseau de clés ouvrant toutes les portes du château, mais il y a un cabinet où il lui interdit formellement de pénétrer[1]. Curieuse, elle enfreint l'interdit, entre dans la pièce et y découvre les corps des précédentes épouses, accrochés au mur. Terrifiée, elle laisse tomber la clef, qui se tache de sang. Elle essaye d'effacer la tache, mais le sang ne disparaît pas car la clef est magique.
La Barbe-Bleue revient à l'improviste et découvre la trahison de sa trop curieuse femme. Furieux, il s'apprête à l'égorger, comme les précédentes épouses. Ce jour-là, la malheureuse attend la visite de ses deux frères — l'un dragon et l'autre mousquetaire — et elle supplie son mari de lui laisser assez de temps pour prier avant de mourir. Le monstre lui accorde un quart d'heure.
Pendant ce temps, la sœur de l'infortunée épouse, prénommée Anne, monte au sommet d'une tour d'où elle cherche à voir si ses frères sont sur le chemin. L'épouse éplorée demande à plusieurs reprises à sa sœur Anne si elle les voit venir, mais cette dernière répète qu'elle ne voit que « le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie ». Barbe-Bleue crie et s'apprête à l'exécuter avec un couteau, la tenant par les cheveux, lorsque les frères surgissent enfin et le tuent à coups d'épée.
La rescapée hérite de toute la fortune de son époux, aide sa sœur à se marier et ses frères à avancer dans leur carrière militaire. Elle épouse ensuite un honnête homme qui la rend enfin heureuse.
« …s'il vous arrive de l'ouvrir, il n'y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. »
« Les voisines et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison… »
« Dieu soit loué ! s'écria-t-elle un moment après, ce sont mes frères. »
« Ils lui passèrent leur épée au travers du corps et le laissèrent pour mort. »
La Barbe-Bleue confie les clés de la maison à son épouse.
L'épouse, la clé à la main, se rend vers la chambre interdite, pendant que ses invitées explorent les autres pièces de la demeure.
L'épouse supplie La Barbe-Bleue de l'épargner. À gauche, la sœur Anne, qui s'apprête à monter au haut de la tour.
La Barbe-Bleue est mis à mort par les deux frères de son épouse.
Le personnage de la Barbe-Bleue
La Barbe-Bleue est à l'origine inspiré de la tradition orale. C'est une variante de l'ogre qui s'attaque à ses femmes successives et aux enfants quand il en a. À la suite de la publication du récit de Perrault, on l'a associé à différents personnages, historiques ou mythologiques :
Conomor, personnage semi-légendaire breton, qui aurait tué ses femmes, dont la quatrième, Tréphine, est conforme au personnage du conte de Charles Perrault[2]. Ce roi était appelé Baro glaz (« barbe grise » en breton mais l'adjectif glaz a également l'acception de bleu ou vert, comme Maen glaz qui désigne l'ardoise bretonne grise, bleue ou verte). Ce pourrait être à une mauvaise interprétation que cette locution bretonne se serait transformée en Barbe bleue[3].
Gilles de Rais, compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, a été qualifié de « Barbe-Bleue ». Il fut exécuté après avoir été accusé d'avoir violé et assassiné nombre d'enfants et jeunes gens mais, mis à part les meurtres en série, sa vie et ses actions sont loin de celles du personnage du conte[4].
Henri VIII[5], roi d'Angleterre et d'Irlande, connu pour avoir condamné à mort deux des femmes qu'il a épousées.
Analyse
Selon le psychanalysteBruno Bettelheim, le conte représente de manière déguisée l'infidélité de l'épouse de Barbe-Bleue et le crime commis par un mari jaloux. Cet auteur rappelle que dans La Barbe bleue de Charles Perrault « une grande fête eut lieu dès que le triste héros eut tourné le dos. Il est facile d'imaginer ce qui se passa entre la femme et ses invités en l'absence de Barbe bleue : l'histoire dit nettement que tout le monde prit du bon temps. Le sang sur l'œuf [variante dans un conte de Grimm] et sur la clé symbolise que les héroïnes ont eu des relations sexuelles. On comprendra donc le fantasme d'angoisse qui leur montre le cadavre des femmes qui ont été tuées en raison de leur infidélité. À l'écoute de ces histoires, on est frappé par le fait que l'héroïne est fortement tentée de faire ce qui lui est interdit. […] Ainsi, sur un plan qui est facilement obscurci par les détails macabres de l'histoire, Barbe bleue est un conte relatif à la tentation sexuelle[6]. » Perrault ne fait nullement l'apologie du comportement meurtrier de Barbe-Bleue en réponse à sa femme. La mort de celui-ci peut être perçue comme une condamnation de la démesure avec laquelle il s’emporte[7].
Pour le philosophe d'Hooghvorst, le conte a un sens kabbalistique. La barbe bleue, décrite par Perrault comme « si terrible », ferait allusion à la peur bleue, ainsi qu'à « une opération, une expérience, en quelque sorte sensible, physique, dépassant le simple symbole »[8].
Catherine Velay-Vallantin[9] consacre un chapitre de son ouvrage L'Histoire des contes (voir Bibliographie) au conte de La Barbe Bleue, qu'elle met en regard avec deux chansons traditionnelles : Renaud, le tueur de femmes (déjà signalé par Paul Delarue) et La Maumariée vengée par ses frères, connue surtout au Québec. Elle cite en intégralité une version de cette romance, ou complainte, due à François-Paradis de Moncrif, ainsi qu'une autre chanson québécoise sur le même thème, Parle tout haut, parle tout bas (il existe aussi des versions en langue d'oc, quoique moins nombreuses). Elle note que dans certaines variantes italiennes du conte, le héros mange des cadavres[10], même si c'est surtout le côté sadique et déviant sexuel du personnage qui prime ici ; elle s'attache aussi au motif du sang. Certaines versions, notamment bretonnes, font mention d'un enfant assassiné ; Moncrif insiste, lui, sur les facultés « presque magiques » de l'épouse pour apprivoiser les bêtes sauvages (ce qui rapproche sa complainte des versions dans lesquelles c'est un animal qui joue le rôle de Sœur Anne). À la suite de Claude Bremond, Catherine Velay-Vallantin développe encore le thème du mari roturier à l'origine, qui n'a été assimilé à un seigneur que plus tard. Quant à Gilles de Rais, « il est inutile de chercher dans ce fait divers l'origine du conte », ce n'est que par amalgame que les histoires de Barbe-Bleue et de Gilles de Rais ont été assimilées. Enfin, elle étudie un rapprochement entre l'héroïne du conte et une sainte bretonne dont la légende apparaît en 1531, Sainte Tryphine, et dont le mari, Conomor, qui l'avait épousée en l'an 544, aurait été un criminel sanguinaire notoire[11].
L'épouse de Barbe-Bleue menacée de mort demande à plusieurs reprises à sa sœur si elle ne voit rien venir, en commençant par ces mots : « Anne, ma sœur Anne… »
« Anna Soror (« Anne, ma sœur ») est l'apostrophe par laquelle s'ouvre le discours de Didon dès le début du chant IV de l'Énéide de Virgile (Ier siècle av. J.-C.) ; cette expression sera reprise sous la forme d'une répétition (Anna soror, soror Anna) dans la 7eHéroïde d'Ovide (Ier siècle av./ apr. J.-C.), avant de passer à la postérité française dans la transposition célèbre de La Barbe bleue »[12].
Dans l’Énéide, ces paroles ouvrent les confidences de Didon à sa sœur Anna Perenna au sujet de l'amour secret qu'elle éprouve pour Énée et qui la trouble parce qu'elle avait juré fidélité à son défunt mari.
Adaptations
Arts plastiques
En el castillo de Barba Azul, Eduardo Arroyo (1993)
Mais où se cache la Barbe-Bleue, installation-exposition de France Everard (2014)
Monsieur Verdoux, réalisé en 1947 par Charlie Chaplin. Le personnage principal, inspiré par l'assassin Henri-Désiré Landru, est plusieurs fois qualifié, d'abord par lui-même puis par la police, de « Barbe-Bleue ».
La Leçon de piano (The Piano), en 1993 par Jane Campion. Une pièce de théâtre sur le conte de La Barbe bleue est monté par les enfants de l'école.
Cure, réalisé en 1997 par Kiyoshi Kurosawa. La femme du détective lit un extrait à son docteur au début du film.
Trois histoires de Barbe Bleue racontées dans le monde, recueil jeunesse, cinquième tome de la collection Le tour du monde d'un conte par les Editions Syros - on y retrouve La Barbe Bleue de Perrault dans sa version intégrale, la version israélienne Abu Freywar et la version écossaise Le cheval gris (2011).
Le cabinet de Barbe-Bleue, essai de Thomas O. St-Pierre présentant le cabinet où reposent les épouses assassinées comme une métaphore psychologique (2023).
↑G. Devallet, « Jules Lemaitre en marge de l'Enéide », dans R. Martin (dir. ), Énée et Didon : naissance, fonctionnement et survie d’un mythe, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1990, p. 148-156.
Jean-Marie Apostolidès, « Des choses cachées dans le château de Barbe bleue », Merveilles & contes, Wayne State University Press, vol. 5, no 2 « Special Issue on Charles Perrault », , p. 179-199 (JSTOR41390294).
Nicole Belmont, « I. Aufsätze. La Barbe bleue en Utopie », Fabula. Zeitschrift für Erzählforschung / Journal of Folktale Studies / Revue d'Études sur le Conte Populaire, Berlin, Walter de Gruyter, vol. 53, nos 3/4, , p. 179-193 (ISSN1613-0464, DOI10.1515/fabula-2012-0014).
Repris dans : Nicole Belmont, Petit Poucet rêveur : la poésie des contes merveilleux, Paris, José Corti, coll. « Collection Merveilleux » (no 53), , 190 p. (ISBN978-2-7143-1186-3), « La Barbe bleue en Utopie », p. 81-104.
Nicole Belmont, « Couvrez ce conte que je ne saurais voir », Cahiers de littérature orale, nos 75-76 « Dossier : l'autre voix de la littérature », (DOI10.4000/clo.1844, lire en ligne).
Arlette Bouloumié, « La dernière femme de Barbe-Bleue dans les réécritures des mythes au XXe siècle », dans Jacques Boulogne (dir.), Les Systèmes mythologiques : colloque « Les systèmes mythologiques », Université de Lille, 1995, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1997, p. 323-337.
Fabienne Raphoz, Les femmes de Barbe-Bleue : une histoire de curieuses, Genève, Éditions Métropolis, , 155 p. (ISBN2-88340-033-4).
Annie Renonciat, « Et l'image, en fin de conte ? Suites, fantaisies et variations sur les contes de Perrault dans l'imagerie », Romantisme. Revue du XIXe siècle, Paris, CDU-SEDES, no 78 « Le conte et l'image », , p. 103-126 (lire en ligne).
(en) Nicholas Ruddick, « « Not So Very Blue, after All » : Resisting the Temptation to Correct Charles Perrault's Bluebeard », Journal of the Fantastic in the Arts, International Association for the Fantastic in the Arts, vol. 15, no 4 (60), , p. 346-357 (JSTOR43308720).
Heidmann Ute, « La Barbe bleue palimpseste : comment Perrault recourt à Virgile, Scarron et Apulée en réponse à Boileau », Poétique, no 154, , p. 161-182 (lire en ligne).
Catherine Velay-Vallantin, « Barbe-bleue, le dit, l'écrit, le représenté », Romantisme. Revue du XIXe siècle, Paris, CDU-SEDES, no 78 « Le conte et l'image », , p. 85 ; 88 (lire en ligne).
Jack Zipes (trad. Cécile Boulic), « Un remake de La Barbe bleue, ou l'au-revoir à Perrault », Féeries, no 8 « Le merveilleux français à travers les siècles, les langues, les continents », , p. 71-90 (ISBN978-2-84310-211-0, lire en ligne).