Enfant, avec son père, chaque dimanche, il se rend à l'Institut Pere Mata[1]. Dans cet asile psychiatrique, sous l'influence de son directeur Emili Mira(ca), il se trouvera atteint de ce « vice » qu'il dit constitutionnel[2] : la psychiatrie. Son implication dans l'affirmation nationale de la Catalogne le pousse à apprendre tout en catalan, il choisit de parler le castillan, la « langue de l'oppresseur » avec un fort accent, en « petit nègre », comme il dit[2]. Il participe activement avec son père à l'effervescence politique des années 31 à 36, proche des communistes dissidents et du Bloc ouvrier et paysan[2], il participera à la création, en 1935, du Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM)[2], non affilié à la Troisième Internationale. Après ses études de médecine, dès 1935, psychiatre à l'Institut Pere Mata, il travaille à la transformation de la pratique psychiatrique[2]. Par exemple, avant et pendant la Guerre civile espagnole (1936-1939) à peine diplômé, ce jeune révolutionnaire emmenait ses patients se baigner sur les plages de Barcelone[3]. Entre 1931 et 1936, de nombreux psychanalystes allemands ou d'Europe centrale viennent se réfugier à Barcelone qui devient une « petite Vienne », confortant les initiatives du professeur Emili Mira et de François Tosquelles qui se forme à la psychanalyse[2]. Durant la guerre civile, François Tosquelles s'engage dans les milices anti fascistes du POUM, il combat en Andalousie puis se charge de soigner les soldats mais aussi les médecins. Pour constituer son équipe il évite de recruter du personnel hospitalier, il préfère des « gens normaux » et parmi eux, il n'hésite pas à embaucher d'anciennes prostituées comme personnel soignant, « celles-ci s'y connaissant en matière d'hommes », comme il s'amuse à le préciser dans un documentaire qui lui est consacré en 1989[2].
Exil
Après la défaite républicaine et la « Retirada » de 1939, menacé (comme tous les Républicains révolutionnaires) par le régime de Franco, Tosquelles se réfugie en France, au camp de concentration de Septfonds en septembre 1939. Il est chargé d'organiser les soins dans l'hôpital de fortune du camp. Là encore, son équipe ne comporte presque pas de professionnels de santé, un seul, et François Tosquelles considère que même dans ce contexte extrême il a pu faire la plus efficace psychiatrie. Son service servira aussi à organiser des évasions en lien avec les réseaux de résistance[2].
Saint-Alban
Paul Balvet docteur à l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, entend parler de l'expérience de Tosquelles à Septfonds et lui propose un poste dans l’hôpital[4] : il y arrive le avec, dans ses bagages, notamment deux livres : celui d'Hermann Simon(de)Aktivere Krankenbehandlung in der Irrenanstalt — c'est dans ce livre que l'on trouve la thèse selon laquelle il faut « d'abord soigner l'hôpital pour pouvoir soigner des patients » (lutte contre l'aliénation sociale) — et la thèse de Jacques LacanDe la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, dont il fait faire des copies (parmi d'autres références utiles) par l'imprimerie du club des malades de l'hôpital en vue d'organiser la formation des soignants. Tout en prenant part aux activités des maquis de la Résistance de la région) aux côtés de Chaurand, Balvet, puis Bonnafé, Rivoire, Clément, Despinoy notamment au sein de la Société du Gévaudan)[5]. L'asile est à la fois lieu de résistance et lieu de refuge pour des clandestins, Tosquelles établira une relation profonde avec Éluard notamment[6].
Tosquelles participe à la transformation de Saint-Alban, en effet, à son arrivée à l'asile de Saint-Alban, il découvre que les pensionnaires sont soumis au rationnement. Pour ne pas les voir mourir de faim, comme cela a été le cas dans la plupart des asiles en France[7], il ouvre les portes de l'asile et envoie ses malades aux champs pour y aider les fermiers qui, en retour, les rémunèrent en denrées alimentaires : pommes de terre, choux[3]. Cette action et celles qui suivirent (carnaval avec défilé dans le village, fêtes, arts…) pendant les vingt ans que Tosquelles passa à Saint-Alban sont des occasions de révolutionner la relation du soignant au patient, avec plus de liberté et plus de richesse dans les soins et une meilleure insertion dans la vie locale.
Parmi les inventions de Tosquelles figurent les clubs thérapeutiques. Les patients et les soignants s'y réunissent sur un pied d'égalité, sans hiérarchie ni statut. Le patient y développe ses capacités d'agir, de s'organiser, se responsabiliser et prendre des initiatives dans le cadre collectif. En France, en 2021 une trentaine de ces clubs fonctionnent, ils sont fédérés au sein du Truc (Terrain de rassemblement pour l'utilité des clubs)[8].
L'expérience pionnière menée à Saint-Alban sera théorisée et développée à travers la psychothérapie institutionnelle[3], mouvement qui, de cet asile à celui de La Borde, a influencé fortement la psychiatrie et la pédagogie depuis la seconde moitié du XXe siècle[10].
L'œuvre protéiforme de François Tosquelles est en train d'être redécouverte, à travers des colloques et la publication d'inédits (édition d'une série Archives Tosquelles dirigée par Jacques Tosquellas).
Publications
avec J. Oury, R. Gentis, J. Ayme, F. Guattari et al., Actes du Groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelle (GTPSI), Éditions d'une, 2014-2017
Trait-d'union, Journal de Saint-Alban. Éditoriaux, articles, notes (1950-1962)Ouvrage regroupant toutes les contributions de Tosquelles au Journal intérieur de l'hôpital de Saint-Alban ; préface par Pierre Delion, dossier historique et documentaires réalisé par Jacques Tosquellas, Mireille Gauzy et Sophie Legrain. Paris, Éditions d'une, coll. "La Boîte à outils", 2015, 272 p. (ISBN9791094346068)
Hygiène mentale des éducateurs, Paris, Éditions d'une, 2016, 76 p. (ISBN9791094346099)
La Chasse aux mots, Récital en six mouvements, Paris, Éditions d'une, 2016, 82 p. (ISBN979-10-94346-10-5)
Archives complètes, Chantier II - Toros - 1943 à 1944, hors-série de la revue Institutions, Nantes, FIAC, 241 p., 2015
Archives complètes, Chantier I - Sardanes - 1928 à 1943, hors-série de la revue Institutions, Nantes, FIAC, 248 p., 2014
Le Vécu de la fin du monde dans la folie, Le témoignage de Gérard de Nerval, Grenoble, J. Millon, 2012, 211 p. (ISBN978-2-84137-282-9)
Le Travail thérapeutique en psychiatrie, préface : Pierre Delion, postface Yves Clot, Eres, 2009, (1re ed. 1967) (ISBN978-2-7492-1033-9)
Fonction poétique et psychothérapie, Ramonville Saint-Agne, Érès, 2003, 210 p. (ISBN2-7492-0189-6)
avec J. Oury et F. Guattari, Pratique de l'institutionnel et politique, Paris, Matrice, 1985, 165 p. (ISBN2-905642-00-9)
Structure et rééducation thérapeutique, Aspects pratiques, Paris, Éditions universitaires, 1967, rééd. Cours aux éducateurs, Nîmes, Champ Social, 2004 (ISBN2913376185)
La Rééducation des débiles mentaux. Introduction à l’aide maternelle et à l’éducation thérapeutique, éd. Privat, Toulouse, 1964 ; nouvelle éd. Pragma, Toulouse, 1975
« Esquisse d'une problématique analytique dans les soins à donner aux enfants psychopathes en institution » in Maud Mannoni (dir.), Enfance aliénée I. Enfance aliénée ou société aliénante ?, Recherches, no 7, septembre 1967
avec J. Oury, « L’enfant, la psychose et l'Institution» , et avec J. Ayme, «Soins aux psychotiques en Institution» in Maud Mannoni (dir.), Enfance aliénée II. L’enfant, la psychose et l’institution, Recherches, no 8, décembre 1968
Filmographie
Films réalisés par François Tosquelles
La société lozérienne d’hygiène mentale (1950-1957)[11], documentaire sur l’organisation des soins à Saint-Alban.
Patrick Faugeras, L'Ombre portée de François Tosquelles, Erès, 2007 (ISBN9782749207650)
Pascale Molinier (dir.) (Jean-Michel de Chaisemartin, Lise Gaignard et Mira Younes), François Tosquelles et le travail, Paris, Editions d'une, , 261 p. (ISBN979-10-94346-17-4).
François Tosquelles (trad. du catalan, textes choisis et présentés par Joana Masó), Soigner les institutions, Paris, L'Aarachnéen, , 397 p. (ISBN978-2-37367-018-9).
J. Tosquellas, Francesc Tosquelles, ses « vices » constitutionnels : psychiatre, catalan, marxiste, Paris, L’Harmattan, 2014
Articles
Jean Ayme, « Essai sur l'histoire de la psychothérapie institutionnelle », dans Actualités de la psychothérapie institutionnelle, Vigneux, Matrices, 1985
Philippe Rappard, « François Tosquelles, De la personne au groupe. À propos des équipes de soins », Che vuoi ?, Le Cercle freudien, vol. 20, no 2, , p. 205 (DOI10.3917/chev.020.0205)