Les fonctions presque périodiques sont, intuitivement, des fonctions f(continues) pour lesquelles, en choisissant des « périodes » T de plus en plus grandes, on a une périodicité approximative de plus en plus précise, c'est-à-dire que (pour tout x) l'écart f(x + T) − f(x) peut être rendu arbitrairement petit.
Mais la définition formelle correspondante, à savoir : quel que soit ε > 0, il existe un nombre réel non nul T tel que , est en fait insuffisante à capturer cette idée, puisque cette propriété est vérifiée par toutes les fonctions uniformément continues.
En 1923, Harald Bohr a proposé les définitions suivantes[1] :
Soit une fonction et soit ε un réel fixé > 0. Un nombre réel non nul T est appelé une ε-presque période de fsi :
On note E(f, ε) l'ensemble des ε-presque périodes de f.
On dit alors qu'une fonction f est presque périodique (au sens de Bohr) si elle est continue et si l'ensemble E(f, ε) est bien réparti pour tout ε > 0, c'est-à-dire que pour tout ε > 0, il existe un réel ℓ > 0, dépendant de ε, tel que tout intervalle de longueur ℓ a une intersection non vide avec E(f, ε) :
[0, ℓ] est appelé intervalle d'inclusion.
Exemples et propriétés
Une fonction périodique et continue est presque périodique.
La fonction est presque périodique bien qu'elle ne soit pas périodique[2].
Toute fonction presque périodique est bornée.
Toute fonction presque périodique est uniformément continue.
Si fet gsont deux fonctions presque périodiques, alors les fonctions f + get fgle sont aussi ; contrairement aux apparences, ce résultat n'est pas trivial, comme on peut le voir dans la boîte déroulante ci-dessous.
Démonstration de ces résultats
La démonstration de la presque périodicité de f + gn'est pas triviale. Elle repose sur plusieurs propriétés.
Si fest ε-presque périodique de période T, alors fest ε'-presque périodique de période T dès que ε' > ε. (C'est évident.)
Toute fonction presque périodique est bornée. Cela résulte de l'existence de l'intervalle d'inclusion.
Si fest presque périodique, alors f2 et |f|2 sont presque périodiques. En effet, si M est le maximum de fsur l'intervalle d'inclusion [0, ℓ], on a |f(x)| ≤ M + ε et par conséquent
donc f2 est ε'-presque périodique de période T.
Toute fonction presque périodique est uniformément continue sur ]–∞, +∞[.
Si fest ε-presque périodique de période T, alors, parmi les 2ε-presque-périodes de f, il existe un ensemble composé uniquement de multiples d'un même nombre η. Une telle presque-période se trouve dans tout intervalle de longueur ℓ ' = ℓ + 2η.
Soit η tel que l'oscillation de fdans un intervalle η soit inférieure à ε et soit T' le multiple de η le plus voisin d'une ε-presque-période T. On a ainsi
donc
.
Supposons que fet gsoient ε-presque périodiques et soient η1 et η2 tels que l'oscillation de fdans un intervalle η1 soit inférieure à ε et de même pour g. Soit η le plus petit des deux nombres η1 et η2 Il existe donc deux nombres ℓ1 et ℓ2 tels que tout intervalle de longueur ℓ1 contienne une 2ε-presque période de f et de même pour ℓ2 et g. Soit L plus grand que max(ℓ1, ℓ2). Alors tout intervalle de longueur L contient au moins une presque période T1 de f et une presque période T2 de g qui sont toutes les deux des multiples de η.
Dans un intervalle de longueur L, les écarts |T1 – T2| des presque-périodes précédentes ne prennent qu'un nombre fini de valeurs différentes et forment ainsi autant de classes d'équivalence. Chaque classe est ainsi caractérisée par un unique couple. Soit L1 le maximum du module des T1 qui figurent dans ces couples. Il n'y en a qu'un nombre fini.
fet gadmettent une 4ε-presque période commune dans tout intervalle de longueur L + 2L1.
Soit pour cela x un nombre quelconque, T3 et T4 deux presque périodes de fet grespectivement situées dans [x + L1, x + L + L1]. Soient T et T' les représentants de la classe du couple (T3, T4). On a donc |T – T'| = |T3 – T4| donc T ± T3 = T' ± T4 = τ.
On a ainsi les inégalités (*)
et (**)
f + gest une fonction 8ε-presque périodique et tout intervalle de longueur L + 2L1 contient une presque-période.
On utilise les inégalités (*) et (**) qui montrent la presque périodicité:
Si fet gsont presque périodiques, fgl'est également.
On a montré que si fest presque périodique, alors f2 l'est aussi. On utilise ensuite l'identité
et comme l'addition conserve la presque périodicité, on a le résultat.
Si fest une fonction presque périodique et F est une fonction uniformément continue, alors F∘fest une fonction presque périodique. Ce résultat se généralise à plusieurs variables à condition que F soit uniformément continue en chaque variable.
Si une suite de fonctions presque périodiques converge uniformément vers une fonction f, alors fest presque périodique.
Si fest une fonction presque périodique dérivable, sa dérivée f 'est presque périodique si elle est uniformément continue sur ℝ.
Une primitive d'une fonction presque périodique est presque périodique si et seulement si elle est bornée.
Les grands théorèmes
Le premier grand résultat de la théorie est :
Toute fonction presque périodique admet une valeur moyenne
résultat dont on déduit le second résultat de la théorie qui concerne la représentation en série de Fourier généralisée :
Toute fonction f presque périodique s'écrit
formule dans laquelle λn est une suite de nombres réels jouant le rôle de fréquence de Fourier, les anétant les coefficients de Fourier de la série et l'on a une inégalité du genre inégalité de Bessel :
Puis on démontre :
Théorème de Stone-Weierstrass pour les fonctions presque périodiques — L'ensemble des fonctions presque périodiques est l'adhérence, dans l'espace vectorielcomplexe des fonctions continues bornées de ℝ dans ℂ (muni de la norme de la convergence uniforme), du sous-espace engendré par la famille de fonctions , indexée par .
Autrement dit : toute fonction presque périodique peut être approchée uniformément par une suite de polynômes trigonométriques généralisés.
« Soient (ai) une suite finie de n nombres réels quelconques et un entier q > 0, il existe un nombre t dans l'intervalle [1, qn] et des entiers xi tel que chacune des n inéquations suivantes soient satisfaites : |tai – xi| ≤ 1/q. »
Calcul des presque périodes
Soit fune fonction presque périodique au sens de Bohr. fest limite uniforme d'une suite de polynômes trigonométriques.
Soit ε > 0 un nombre aussi petit qu'on veut. Comme on a
il existe un N tel que le polynôme trigonométrique
approche f(t) à moins de ε/3. On a donc pour tout t
P(t) est presque périodique au sens de Bohr puisque c'est un polynôme trigonométrique (au sens généralisé). Soit τ > 0 une η-presque période de P.
On a ainsi
Donc en prenant η = ε/3, τ sera une ε-presque période pour f.
Il reste donc à calculer la η-presque période de P.
On prend donc η tel que
pour être assuré qu'il existe un δ < π tel que
Alors, τ doit satisfaire aux N inégalités de la forme
où n varie de 1 à N. Et cela revient à appliquer le théorème de Dirichlet. On a
donc en divisant par 2π on obtient (on ne s'intéresse en fait qu'à τ) :
Prenant δ/2π assez petit, on a δ/2π ≥ 1/q soit q =[2π/δ] + 1 donc on trouve, en supposant t0 = 1, que
valeur qui majore donc la 3η-presque période de f.
Fonctions analytiques presque périodiques
On imagine fort bien que la théorie des fonctions presque périodiques d'une variable réelle se généralise aux fonctions complexes d'une variable complexe, du moins sur un axe. En fait, on l'étend à une bande avec succès (mais pas au plan tout entier, le théorème de Liouville veille !).
Une fonction f(z), continue dans la bande [a, b] est dite presque périodique si pour tout ε > 0, on peut trouver ℓ = ℓ(ε) tel que tout intervalle de longueur ℓ sur l'axe imaginaire contient un nombre iη tel que
pour tout z dans la bande considérée. En d'autres termes, la fonction f(x + iy) est presque périodique en y, uniformément en fonction de x, x restant dans l'intervalle [a, b].
Dans la théorie des fonctions analytiques d'une variable, le principe de Phragmén-Lindelöf, qui n'est que l'extension du principe du maximum à un ensemble non borné (bande ou secteur angulaire, ici bande), permet de montrer le résultat suivant (appelé théorème des trois droites de Doetsch(de)) :
« Soit f(z) une fonction analytique bornée dans la bande [a, b].
Dans la théorie des fonctions analytiques complexes presque périodiques dans une bande, on démontre, en liaison avec le principe de Phragmén-Lindelöf, que la dérivée d'une fonction analytique complexe presque périodique dans une bande [σ1, σ2] est elle-même presque périodique dans la même bande.
De tout cela résulte qu'une fonction analytique régulière presque périodique pour une valeur σ est presque périodique dans une bande maximale [σ1, σ2] où elle reste bornée. En dehors de cette bande, soit elle n'est plus régulière (pôles…) soit elle n'est plus bornée, soit elle cesse d'exister. Sa série de Fourier la représente dans sa bande maximale. Si la fonction redevient presque périodique dans une autre bande, elle y admet une autre série de Fourier.
Extensions de la notion de fonction presque périodique
Presque périodicité par rapport à une norme
Soit ║ ║ une norme définie sur un espace de fonctions continues. On dit qu'une fonction fest presque périodique au sens de la norme ║ ║ si
fest continue,
║f║ est finie,
il existe pour tout ε > 0 un ℓε tel que tout intervalle de longueur ℓε contient une ε-presque période τ telle que :
où est la fonction ftranslatée de –τ .
Selon le choix de la norme, on obtient ainsi plusieurs notions différentes de presque périodicité. Les choix les plus courants sont
La norme du sup : qui donne la presque périodicité au sens de Bohr.
La norme de Stepanoff : qui donne la presque périodicité au sens de Stepanoff[4] pour les nombres l et p.
La norme de Weyl : qui définit la presque périodicité au sens de Weyl.
La norme de Besicovitch : qui donne la presque-périodicité au sens de Besicovitch.
La presque-périodicité au sens de Bohr implique toutes les autres (autrement dit, ces autres définitions sont plus générales). Celle de Stepanoff implique celle de Weyl pour le même p.
Fonctions presque périodiques sur un groupe abélien localement compact
À partir de 1930, les généralisations précédentes et l'apparition de méthodes abstraites telles que le théorème de Peter-Weyl ou la dualité de Pontryagin ouvrirent la voie à une théorie générale.
Si G est un groupe abélienlocalement compact, on dit que F, appartenant à L∞(G), est presque périodique si l'ensemble de ses translatés par G est relativement compact (c'est-à-dire si l'adhérence de cet ensemble est compacte). L'espace des fonctions presque périodiques est l'adhérence (pour la norme de la convergence uniforme) de l'ensemble des combinaisons linéaires des caractères de G. Si G est compact, les fonctions presque périodiques sont simplement les fonctions continues.
Le compactifié de Bohr(en) de G est le groupe abélien compact B(G) de tous les caractères (non nécessairement continus) du groupe dual de G ; B(G) est un groupe compact dont G est un sous-groupe dense. L'espace des fonctions presque périodiques sur G s'identifie avec l'espace des fonctions continues sur B(G). Plus généralement, on peut définir le compactifié de Bohr d'un groupe topologique G quelconque ; l'espace des fonctions continues (ou même simplement Lp) sur B(G) peut être vu comme un espace de fonctions presque périodiques sur G.
Caractérisation des fonctions presque périodiques
Cas des fonctions d'une variable réelle
Dans cette section, on suppose que (X, d) est un espace métrique complet. Si f, g désignent deux fonctions d'une variable réelle à valeurs dans X,
on définit leur distance par :
Théorème : Soit une application continue. On a les équivalences :
De toute suite réelle (hn)n, on peut extraire une sous-suite telle que converge uniformément dans Xℝ.
, l'intervalle ]x, x + R(ε)[ contient une ε-presque-période.
De toute suite réelle (hn)n, on peut extraire une sous-suite (hφ(n))n telle que converge uniformément sur ℂ.
tel que tout intervalle du type ]a, a + R[ ou ]ia, ia + iR[ (a ∈ ℝ) contient au moins une ε-presque-période.
Notes et références
↑Harald Bohr, « Sur les fonctions presque périodiques », C.R.A.S., vol. 177, 1923, p. 737-739.
↑On peut, pour le démontrer, utiliser le résultat plus général donné plus loin, ou remarquer que sin(x + T) – sinx = 2cos(x + T/2)sin(T/2), et choisir des T de la forme 2qπ, où p/q est une bonne approximation rationnelle de √2.
↑Le principe des tiroirs (ou des trous de pigeons, ou des chaussettes) est un résultat combinatoire presque évident, affirmant que si n + 1 objets sont répartis dans n tiroirs, un tiroir au moins contient plusieurs objets, et dont Dirichlet a su tirer une démonstration astucieuse de son théorème.
↑W. [V.V. Stepanov] Stepanoff, « Sur quelques généralisations des fonctions presque périodiques », C.R. Acad. Sci. Paris, vol. 181, 1925, p. 90–92.
↑(en) C. Corduneanu, Almost periodic functions, Interscience Publishers, coll. « Intersciences tracts in pure and applied mathematics » (no 22), .
↑(en) S. Ju. Favorov, « Sunyer-i-Balaguer's Almost Elliptic Functions and Yosida's Normal Functions », Journal d'Analyse Mathématique, vol. 104, , p. 307-339, arXiv:0802.1487
Bibliographie
(en) Amerio et Prouse, Almost periodic functions and Functional Equations, Van Nostrand Reinhold Company, Cincinnati, 1971.
(en) A. S. Besicovitch, Almost periodic functions, Dover, Cambridge, 1954, [lire en ligne].
(en) H. Bohr, Almost periodic functions, Chelsea publishing, New York, 1947.
Jean Favard, Leçons sur les fonctions presque-périodiques, Gauthiers-Villars, Paris, 1933.