Le 2e régiment de cavalerie du Daghestan est une unité de chasseurs à cheval caucasiens auxquels s'ajoutent des hommes de différentes unités de l'armée russe[1]. La division se compose uniquement de volontaires, la conscription ne s'appliquant pas aux sujets musulmans de l'empire[3]. Elle est commandée par le grand-ducMichel Alexandrovitch de Russie, frère de Nicolas II. Du fait de ce commandement princier, l'encadrement de la division comprend un nombre inhabituel d'officiers issus de la haute noblesse[2].
Le grand-duc Michel Alexandrovitch (debout au centre) entouré des officiers de la Division sauvage, 1914.Soldat tchétchène de la Division sauvage, engagé volontaire à l'âge de 12 ans, décoré du ruban de Saint-Georges à 14 ans.Soldats du régiment de cavalerie ingouche traversant le Dniestr, 1915.Fantassins russes et officiers du régiment ingouche à la gare de Dzviniatch-Jejava, 1915.Voiture blindée de la Division sauvage, 1916.
Les Caucasiens, malgré leur passé de résistance à la conquête russe, s'enrôlent volontiers sous l'effet de la propagande, « pour le tsar et la gloire de la patrie », par esprit guerrier, pour le prestige des armes et de l'uniforme et pour la solde qui est relativement élevée[1]. Du point de vue russe, la formation de cette unité permet à la fois d'exploiter la valeur guerrière des peuples du Caucase et d'éloigner de leur pays des hommes turbulents, portés à la violence et au brigandage et qui auraient pu devenir un facteur de rébellion : en 1912, les prisons du seul oblast du Terek abritaient 11 258 détenus, et en , 6 000 manifestants s'étaient rassemblés à Temir-Khan-Choura au Daghestan pour s'opposer à un décret du vice-roi Vorontsov-Dachkov qui tentait d'imposer l'usage du russe comme seule langue officielle[4].
Combats sur le front d'Europe centrale
Le nom officiel de l'unité est « Division de cavalerie indigène du Caucase » mais son aspect exotique, son esprit de corps et sa bravoure lui valent le surnom de « Division sauvage ». Sur le front d'Europe centrale face aux Austro-Allemands, la division est engagée pour la première fois le pendant la bataille des Carpates face à l'armée austro-hongroise, près du village de Wetlina en Galicie. Elle combat ensuite à Beregi-Gorny et Laina. En 2 mois, 30 hommes du 2e régiment de cavalerie du Daghestan sont décorés de l'ordre de Saint-Georges et autres distinctions, ce qui leur vaut l'expression de « sincère gratitude » de leur commandant, le prince AmilakhvariAmilakhvari. Elle se distingue encore pendant l'offensive Broussilov de l'été 1916[1].
Pendant le conflit, la division subit de lourdes pertes qui sont à chaque fois comblées par de nouveaux volontaires[1]. La dernière vague de recrutement, menée le , montre cependant une certaine baisse d'enthousiasme[5]. La valeur guerrière reconnue de cette unité s'accompagne d'une forte tendance au pillage et au viol[5].
Le général Alexandre Krymov.Train de soldats à Droujkovka en 1917.
Le , à la suite d'une série de malentendus, Kornilov se persuade que le gouvernement de Kerenski est tombé aux mains des bolcheviks et ordonne au 3e corps de marcher sur Petrograd. Kerenski se proclame commandant en chef tandis que le Soviet de Petrograd, avec la participation des bolcheviks, organise la défense de la ville et le blocage des voies ferrées[8]. Le soir du , les régiments ingouche et tcherkesse sont à Vyritsa à 67 km de Petrograd. Mais les ouvriers du chemin de fer ont coupé la voie et rendu les communications inutilisables. Des délégations d'ouvriers et de soldats, y compris des agitateurs bolcheviks, viennent haranguer les Caucasiens et leur demandent de soutenir le Soviet et le gouvernement provisoire. Les marins de la flotte de la Baltique envoient une centaine de représentants dont une compagnie de mitrailleurs qui avait servi précédemment dans la Division sauvage. Ils sont rejoints par une délégation du comité exécutif de l'Union des soviets musulmans, qui se trouvait alors à Petrograd, comprenant un petit-fils de l'imam Chamil. Le , les Caucasiens brandissent un drapeau rouge marqué « Terre et liberté »[9] (selon une autre version, un drapeau blanc avec le même slogan[10]). Ils déclarent qu'ils ignoraient les vrais objectifs du putsch, font savoir leur fidélité au gouvernement provisoire et envoient des messages aux autres unités pour les avertir[9]. En outre, ils arrêtent leurs commandants. L'ensemble des troupes se rallie au Soviet sans qu'un coup de feu soit tiré. Le , Krymov se suicide tandis que Kornilov est arrêté[11].
Pendant la guerre civile russe, des vétérans de la Division sauvage combattent au sein des Armées blanches, dans les Forces Armées du Sud de la Russie, et suivent les restes de l'armée vaincue du général Wrangel lors de son évacuation vers Lemnos et les Dardanelles. La plupart des militaires russes blancs sont accueillis par la Bulgarie et la Yougoslavie. Parmi les hommes de la Division sauvage, certains proposent de s'installer en Turquie, pays musulman, mais la grande majorité choisit la Bulgarie et la Yougoslavie par fidélité à l'armée russe[14].
Commandants
Feyzullah Mirza Qajar, dernier commandant de la Division sauvage, en 1905.
Prince Dimitri Bagration(en) du au et du au . Du au , commandant du corps de cavalerie indigène du Caucase. Officier de l'Armée rouge en , mort en .
Piotr Polotsov(en), commandant du régiment tatar du au puis chef d'état-major de la division du au et commandant du corps de cavalerie indigène du Caucase à partir du , mort en exil à Monte-Carlo en 1964.
Pendant la guerre civile russe, le nom de « Division sauvage » est parfois donné au « Détachement spécial mandchou », armée privée de l'atamanGrigori Semenov, un des chefs des Armées blanches. Composé d'aventuriers cosaques et mongols, sans rapport avec la division caucasienne du même nom, ce corps est connu pour son indiscipline et sa cruauté : dans un seul village, il tue 30 hommes et brûle 55 maisons, sans que ses alliés américains et japonais arrivent à le réfréner[15].
Selon l'historien daghestanais Hajji Murad Donogo, la Russie, après 1917, a largement occulté le souvenir de la Première Guerre mondiale, « guerre impérialiste » à l'issue désastreuse et qui se termine en guerre civile. Même au Daghestan, la Division sauvage est peu commémorée[1]. En revanche, en Ingouchie, le centenaire de sa création, en 2014, a donné lieu à des célébrations, expositions, et à un film, Nés libres : Sur la trace de l'expédition de la cavalerie caucasienne[17].
Fiction
Cinéma. Dans le film Octobre de Sergueï Eisenstein (1928), une séquence montre la participation de la Division sauvage au putsch de Kornilov : les farouches cavaliers marchent vers Petrograd, accompagnés de tanks britanniques et d'avions français, au milieu d'un montage de symboles chrétiens, musulmans, bouddhistes et, pour finir, de masques tribaux africains illustrant le caractère factice de l'idéologie réactionnaire. Mais, alors que les ouvriers s'arment pour résister aux putschistes, les militants bolcheviks arrivent pour haranguer les cavaliers et leur distribuer des tracts : les cavaliers changent de camp, fraternisent avec les ouvriers et se mettent à danser la lezginka[18].
Bibliographie
(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Savage Division » (voir la liste des auteurs) dans sa version du .
(de) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en allemand intitulé « Wilde Division » (voir la liste des auteurs) dans sa version du .
Alex Marshall, The Caucasus Under Soviet Rule, Routledge, 2010 [1]
Orlando Figes (trad. de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, préf. Marc Ferro), La révolution russe 1891-1924, la tragédie d'un peuple, Paris, Gallimard, coll. « Folio. Histoire » (no 171), , 1591 p. (ISBN978-2-07-032011-0, OCLC497018211)
Alexander Rabinowitch, The Bolsheviks Come to Power: The Revolution of 1917 in Petrograd, Haymarket Books & Pluto Press, 2004 [2]
Richard Taylor, Film Propaganda: Soviet Russia and Nazi Germany, I.B. Tauris, 2006 [3]
↑(en) Timothy Winegard, The first world oil war, Toronto Buffalo, University of Toronto Press, , 412 p. (ISBN978-1-4875-2258-2, OCLC1014347172), p. 180-188.
↑Vestnik Kavkaza, Caucasus peoples in the First World War, 26 février 2014.
↑(en) Jamie Bisher, White terror : Cossack warlords of the Trans-Siberian, London New York, Routledge, , 452 p. (ISBN978-0-415-57134-0, OCLC718302284), p. 269-271.
↑Le Monde, "En Ukraine, le chaos de la guerre gagne Donetsk", 20 mai 2014.
↑Vestnik Kavkaza, "Ingushetia celebrates 100th anniversary of "Wild division"", 18 juillet 2014.
↑Richard Taylor, Film Propaganda: Soviet Russia and Nazi Germany, I.B. Tauris, 2006