La compactification de Stone-Čech, βX, d'un espace topologiqueX est le plus grand compact « engendré » par X. Plus rigoureusement :
Définition — Soit X un espace topologique. La compactification de Stone-Čech de X est un espace compact βX muni d'une application continuei de X vers βX de sorte que, pour tout espace compact K et toute application continue f de X vers K, il existe une unique application continue βf de βX vers K vérifiant f = βf ∘ i.
On verra dans les sections suivantes que le couple (i, βX) est uniqueà unique isomorphisme près, et que l'axiome du choix permet de démontrer son existence pour tout espace topologique X. En revanche, X ne peut être considéré comme un sous-espace (dense) de βX (autrement dit i n'est un plongement) que si X est un espace de Tychonov ; i peut même ne pas être injective, elle le sera si et seulement si X est un espace d'Urysohn.
Propriété universelle et fonctorialité
La définition précédente est un exemple de propriété universelle : elle affirme qu'il existe un morphisme βf unique rendant le diagramme ci-contre commutatif. Autrement dit, X → βX est initial parmi les compacts K munis d'un morphisme X → K. Comme toute propriété universelle, ceci caractérise βX à homéomorphisme près[3] et cet homéomorphisme est unique.
L'application allant de X vers son image dans βX est un homéomorphisme si et seulement si X est un espace de Tychonov ;
Cette application est un homéomorphisme vers un sous-espace ouvert de βX si et seulement si X est localement compact.
La construction de Stone-Čech peut être effectuée pour des espaces X quelconques, mais l'application X → βX n'est alors pas un homéomorphisme sur son image, et peut même ne pas être injective.
La propriété d'extension des applications fait de β un foncteur allant de Top (la catégorie des espaces topologiques) vers Comp (la catégorie des espaces compacts). Si nous notons U le foncteur d'inclusion (qui est un foncteur d'oubli) de Comp vers Top, les applications de βX vers K (pour K dans Comp) correspondent bijectivement aux applications de X vers UK (en considérant leur restriction à X et en utilisant la propriété universelle de βX). Autrement dit, Hom(βX, K) = Hom(X, UK), ce qui veut dire que β est adjoint à gauche de U. Ceci entraîne que Comp est une sous-catégorie réflexive(en) de Top, avec β comme réflecteur.
Constructions
La section précédente a montré l'unicité (à homéomorphisme près) du compactifié de Stone-Čech. Les constructions équivalentes suivantes nécessitent toutes l'axiome du choix ; seules les deux premières s'appliquent à des espaces X généraux.
À l'aide de produits
Une tentative de construction du compactifié de Stone-Čech de X est de prendre l'adhérence de l'image de X dans ∏C, où le produit est pris sur l'ensemble de toutes les applications continues de X vers des espaces compacts C. Cette construction, sous cette forme, échoue, parce que cette collection d'applications est une classe propre et non un ensemble ; il est cependant possible de la rendre correcte, par exemple en restreignant les compacts C à l'ensemble des couples (Y,T), où Y=P(P(X)) (l'ensemble des parties de l'ensemble des parties de X), et où T est une des topologies rendant Y compact. Y est choisi suffisamment grand pour que son cardinal majore celui de tout compact C pour lequel il existe une application continue de X dans C d'image dense.
En utilisant l'intervalle unité
Considérons l'application F de X vers [0, 1]C, définie par
où C est l'ensemble de toutes les applications continues de X vers [0, 1]. On voit que F est continue, si l'on munit [0, 1]C de la topologie produit. D'après le théorème de Tychonov, on sait que [0, 1]C est compact puisque [0, 1] l'est, donc l'adhérence de F(X) dans [0, 1]C est une compactification de X.
Pour montrer qu'on obtient bien le compactifié de Stone-Čech, il faut contrôler la propriété universelle. On le vérifie d'abord pour K = [0, 1], où l'extension cherchée de f : X → [0,1] est la projection sur la « f-ième » coordonnée dans [0, 1]C. pour généraliser cela à un compact K quelconque, on remarque que K peut (comme tout espace complètement régulier) être plongé dans un cube (un produit de la forme [0, 1]I), on étend comme précédemment chacune des fonctions coordonnées, et on prend le produit de ces extensions.
Cette construction réussit parce que l'intervalle unité est un cogénérateur de la catégorie des espaces compacts : cela veut dire que si f et g sont deux applications (continues) distinctes entre deux compacts A et B, il existe une application h de B vers [0,1] telle que hf et hg sont distinctes. Tout autre cogénérateur pourrait être utilisé pour la même construction.
À l'aide d'ultrafiltres
Si X est discret, on peut construire βX comme l'ensemble de tous les ultrafiltres sur X, muni de la topologie dite topologie de Stone[4]. X est identifié au sous-ensemble de βX formé des ultrafiltres triviaux.
Pour vérifier la propriété universelle dans ce cas, on remarque que pour f : X → K avec K compact et F un ultrafiltre sur X, on a un ultrafiltre f(F) sur K, qui converge vers un élément (unique) x, puisque K est compact ; on définit alors βf(F) = x, qui est une extension continue de f pour la topologie de Stone.
Cette construction est un cas particulier de celle de l'espace de Stone d'une algèbre de Boole, appliquée ici à l'algèbre de l'ensemble des parties de X. Elle peut être généralisée à des espaces de Tychonov arbitraires en utilisant des filtres maximaux d'ensembles de zéros de fonctions continues de X vers ℝ, ou simplement des filtres maximaux de fermés si l'espace est normal.
En utilisant des C*-algèbres
Dans le cas où X est un espace de Tychonov, le compactifié de Stone-Čech peut être identifié avec le spectre(en) de la C*-algèbre Cb(X) des fonctions continues bornées sur X, munie de la norme sup.
Le cas des entiers naturels
La compactification de Stone-Čech des entiers naturels
Dans le cas où X est localement compact, par exemple ℕ (pour la topologie discrète) ou ℝ, c'est un sous-espace ouvert de βX et d'ailleurs de toute compactification (cette condition est également nécessaire, car tout ouvert d'un compact est localement compact). Dans ce cas, on s'intéresse souvent à l'espace complémentaire βX\X. Cet ensemble est un fermé de βX, et donc un compact. Pour ℕ muni de la topologie discrète, on note βℕ\ℕ = ℕ* (mais cette notation n'est pas utilisée dans le cas d'un X général).
On peut voir βℕ comme l'ensemble des ultrafiltres sur ℕ, muni de la topologie engendrée par les ensembles de la forme { F | U ∉ F } pour U ⊂ ℕ. ℕ correspond à l'ensemble des ultrafiltres triviaux, et ℕ* à l'ensemble des ultrafiltres libres ; cette construction a été décrite (et généralisée à des espaces de Tychonov quelconques) dans la section #À l'aide d'ultrafiltres ci-dessus.
L'étude de βℕ, en particulier de ℕ*, est un domaine important de la topologie générale moderne. Les résultats principaux motivant cette étude sont les théorèmes de Parovicenko qui, pour l'essentiel, caractérisent ℕ* si l'on admet l'hypothèse du continu ; il s'agit des théorèmes suivants :
Tout compact admettant une base formée d'au plus ℵ1 ouverts (voir aleph) est image de ℕ* par une fonction continue (ce résultat n'utilise pas l'hypothèse du continu, mais est moins intéressant en son absence).
En admettant l'hypothèse du continu, ℕ* est (à isomorphisme près) le seul espace de Parovicenko(en).
Application : l'espace dual de l'espace des suites réelles bornées
Le compactifié βℕ peut être utilisé pour caractériser ℓ∞(ℕ) (l'espace de Banach formé des suites bornées à valeurs réelles ou complexes, muni de la norme sup), ainsi que son dual topologique.
Étant donné une suite bornée a ∈ ℓ∞(ℕ), il existe une boule fermée B (du corps des scalaires ℝ ou ℂ) qui contient l'image de a ; a est donc une application de ℕ vers B. Comme ℕ est discret, a est continue. Comme B est compacte, il existe donc (d'après la propriété universelle) une extension unique βa : βℕ → B, qui ne dépend pas du choix de B.
Cette extension est donc une application de l'espace des suites (de scalaires) bornées vers l'espace des fonctions continues allant de βℕ vers les scalaires, ℓ∞(ℕ) → C(βℕ).
Cette application est surjective, puisque toute application de C(βℕ) est bornée, et peut donc être restreinte à une suite bornée. Elle est de plus injective, car si nous munissons les deux espaces de la norme sup, c'est même une isométrie ; en effet, en prenant dans la construction précédente la plus petite boule B possible, on voit que la norme de la suite étendue ne peut grandir (l'image de cette fonction, bien que pouvant contenir des scalaires qui ne font pas partie de la suite, reste incluse dans la boule).
Ainsi, ℓ∞(ℕ) peut être identifié avec
C(βℕ). Ceci nous permet d'utiliser le théorème de représentation de Riesz, qui montre que le dual topologique de ℓ∞(ℕ) peut être identifié à l'espace des mesures de Borel finies sur βℕ.
Enfin, il faut remarquer que cette technique se généralise à l'espace L∞ d'un espace mesuré arbitraire X. Cependant, au lieu de simplement considérer l'espace βX des ultrafiltres sur X, la construction appropriée utilise l'espace de StoneY de l'algèbre des mesures sur X[pas clair] : les espaces C(Y) et L∞(X) sont isomorphes en tant que C*-algèbres tant que X vérifie la condition (satisfaite dès que la mesure est σ-finie) que tout ensemble de mesure positive contienne un sous-ensemble de mesure positive finie.
L'addition dans le compactifié de Stone-Čech des entiers
Les entiers (positifs) forment un monoïde pour l'addition. Il se trouve que cette opération peut être prolongée (mais non de manière unique) à βℕ, transformant cet espace également en monoïde, quoique, de manière assez surprenante, en un monoïde non commutatif.
Pour tout sous-ensemble A ⊂ ℕ et tout n ∈ ℕ, posons
Étant donné deux ultrafiltres F et G sur ℕ, on définit leur somme par
cet ensemble est encore un ultrafiltre, et l'opération + est associative (mais non commutative) sur βℕ et prolonge l'addition de ℕ ; 0 (ou plus exactement l'ultrafiltre trivial contenant {0}) étant élément neutre pour + sur βℕ. Cette addition est également continue à droite, au sens où pour tout ultrafiltre F, l'application de βℕ vers βℕ définie par G ↦ F + G est continue.
Notes et références
↑(en) Marshall Stone, « Applications of the theory of Boolean rings to general topology », Trans. Amer. Math. Soc., vol. 41, , p. 375-481 (DOI10.2307/1989788)
↑En effet, si i : X → Y et j : X → Z, deux applications continues de X dans des espaces compacts Y et Z, ont cette propriété, alors le morphisme βj : Y → Z et le morphisme βi : Z → Y sont inverses l'un de l'autre.
↑ On en trouvera une description détaillée dans (en) Russell C. Walker, The Stone-Čech compactification, Springer, , 332 p. (ISBN978-3-540-06699-6), p. 13