Sur les hauteurs de Pontechianale, la rivière Varaita, traversée par un pont en pierre, coupe en deux le village de Chianale.
À 1 800 m d'altitude, c'est le dernier village avant le Col Agnel (Colle dell'Agnello en italien) pour rejoindre Molines-en-Queyras dans les Hautes-Alpes côté Français.
Histoire
Origines légendaires - XIIe siècle
On retrouve mention du hameau de Chiannale dans l’historiographie du XIIe siècle. Ces écrits illustrent la prégnance de l’amour courtois et de l’esprit chevaleresque dès le haut Moyen Âge dans cette région reculée du Piémont, au travers de la légende de Dame Fanny et du Sire Olive [1].
Inaugurant l’ouverture du récit par le devenu fameux, « il était une fois », le drame chevaleresque se noue lorsqu’une énorme fuite d’eau dévalant les pentes du Piémont parcourt le lit de l’actuel rivière Varaita. Formant un torrent incontrôlable de neiges fondues et de pierres, le village se trouve brutalement séparé en deux rives infranchissables. Les habitants, effrayés par une telle malédiction, abandonnent le village dans la panique générale pour se réfugier dans la vallée[2].
Prenant le parti contraire, gente Dame Fanny (fille du seigneur des lieux, de noblesse illustre et fort ancienne dont l’ascendance remonte à des temps légendaires rendant toute documentation difficile), décide d’affronter le danger. Le courage dont elle fit preuve en cette occasion est loué par un chant repris depuis par de nombreux ménestrels dans tout le nord de l’Italie. Bravant le danger, elle emprunte donc le chemin inverse en remontant le colle dell’Agnello pour trouver la source du déluge, bien décidée à y remédier[3].
Presque parvenue au sommet, alors que doute et fatigue commencent à faire sentir leur étreinte, elle y entend l’écho d’une voix enjouée chanter des airs ultras alpins sur des notes de guitare assénées avec dextérité. Il s’agit du Sire Olive (dell campo y di bellaciao, alias Il magnifico), jeune écuyer envoyé du Queyras pour y réchauffer les relations avec les seigneurs piémontais (ses talents de diplomate lui avaient déjà valu le titre envié à la cour de « el chauffagisto »)[4].
Les deux jeunes inconnus se font immédiatement bonne figure. Une fois renseigné du malheur s’étant abattu sur le village, le Damoiseau, inspiré, engage un monologue sur la pureté de l’air des montagnes, achevant le discours par la désormais célèbre formule «La montage, ça vous gagne » [5]. Galvanisée par la déclamation, la Damoiselle réalise alors que l’élévation vers les sommets est toujours une bonne solution. Sa réplique (reprise depuis à l’opéra scala de Milan et tutti cuenti [6]) échafaude un plan pour canaliser (chianale) le torrent du Varaita et construire son chemin dans la vie.
Le récit s'achève par le retour lyrique et triomphal de Dame Fanny et Sire Olive vers le hameau. Ces derniers décident ainsi de descendre le lit du torrent main dans la main. À chaque pas, avec leur main libre, ils saisissent une pierre qu’ils déposent chacun sur leur flanc, à leur droite et à leur gauche, formant ainsi un « canal ». Les eaux impétueuses du Varaita sont ainsi domptées par la force tranquille du couple. Arrivés au village, ces derniers se rejoignent mains contre mains après avoir en posé leurs dernières pierres, formant ainsi les fondations du pont de « Chianale », encore visible de nos jours [7].
La communauté de Chenal : terre d'empire, possession française, puis piémontaise
La République des Escartons libres
De 1142 à 1349, Chianale fait partie du Dauphiné de Viennois, principauté du Saint Empire Romain Germanique.
Cependant, le val Varaita va bénéficier d'une grande autonomie dès le 14e siècle. En 1343, grâce à la "grande charte" octroyée par le dernier dauphin de Viennois, Humbert II de Viennois, la communauté de Chenal (Chianale), avec Pont (Pontechianale), Château Dauphin et Bellino, forme l’une des cinq Républiques des Escartons libres, territoires montagnards bénéficiant d’un statut particulier leur conférant une grande autonomie, de part et d'autre des Alpes françaises et italiennes[8].
Au Moyen Âge, tant en raison de la grande charte que de sa situation géographique, le Varaita semble avoir été préservé des guerres delphino-savoyardes, guerres médiévales ayant opposé pendant plus de cent ans le Dauphiné, Terre d’Empire, au comté de Savoie [9] Malgré les changements de souveraineté opérés ultérieurement, le régime autonome de la République des Escartons survivra dans le Val Varaita jusqu’en 1802 alors qu'il disparaissait côté français avec la grande révolution de 1789.
Possession française pendant près de quatre siècles
Le dernier Dauphin, Humbert II déjà très endetté par un train de vie fastueux, sans héritier, achève de se ruiner en partant en croisade en 1345/1347 [10]. La convoitise de la maison capétienne des Valois qui régnait sur la France trouve là bonne opportunité pour asservir le Dauphiné à la couronne de France. Après avoir cédé bonne partie des droits seigneuriaux aux territoires qui formeront la République des Escartons libres, la province est vendue au roi des France Philippe VI de Valois par le traité de Romans le 30 mars 1349. Le Dauphiné de viennois est vendu au royaume de France pour devenir la province du Dauphiné[11].
La vallée s’étendant du col de l’Agnel jusqu’à Château Dauphin reste possession de la couronne de France jusqu’en 1713.
Possession piémontaise après le traité d'Utrecht
En 1713, le traité d’Utrecht redéfinit la frontière dans les Alpes. Les vallées tournées vers l’est deviennent possessions de la principauté de Piémont, sur laquelle règne la maison de Savoie[12].
Le 19 juillet 1744, dans le cadre de la guerre de succession d’Autriche, se déroule à proximité la bataille de Pierrelongue opposant une armée franco-espagnole commandée par le prince de Conti à l’armée sarde de Charles-Emmanuel III. Ce dernier étant vaincu[13]. Cependant, ni les guerres du 18e siècle, ni celles de la Révolution et de l'Empire ne remettront en cause le rattachement piémontais du val Varaita issu du traité d'Utrecht de 1713.
Chianale reste ainsi possession du Piémont et suivra désormais le cours de son histoire.
Le Museo del Costume e dell'artigianato tessile ouvert en 2009 à Chianale, expose les costumes traditionnels de la commune.
Notes et références
↑Bruno Roy, « Archéologie de l’amour courtois : Note sur les miroirs d’ivoire », dans Miroirs et jeux de miroirs dans la littérature médiévale, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », (ISBN978-2-7535-4610-3, lire en ligne), p. 233–251
↑Encyclopædia Universalis, « MYTHES DU DÉLUGE », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
↑Louis Royer, « La croisade du dauphin Humbert II (1345-1347), discours prononcé à la fête du cinquantenaire de la Société d'archéologie de la Drôme... par le chanoine Ulysse Chevalier. Paris A. Picard 1920. », Bibliothèque de l'École des chartes, vol. 83, no 1, , p. 177–177 (lire en ligne, consulté le )
↑« st barnard11 », sur www.romansdromeparlescartespostales.fr (consulté le )