Antoine Berman se situe dans la tradition de Friedrich Schleiermacher, dont il a traduit une conférence (Des différentes méthodes du traduire, Seuil, Points, 1999), et de Walter Benjamin au regard de l'article de cet auteur sur La tâche du traducteur[3].
L’ouvrage important d'Antoine Berman, L'Épreuve de l'étranger, dont le titre s'inspire d'un vers devenu célèbre de Hölderlin, porte sur « la théorie allemande » de la traduction, qui s'élabore sciemment contre les traductions « à la française »[n 1].
En se référant à Hölderlin, le titre même de l'ouvrage de Antoine Berman, à savoir L'Épreuve de l'étranger, révèle une interaction profonde entre le domaine proprement « linguistique » - non pas au sens des linguistiques « synchroniques » du XXe siècle, mais au sens « diachronique » de l'histoire des langues naturelles, par exemple celle que brosse la grande philologie allemande du XIXe siècle, refoulée par le XXe siècle « mondialisant » - et une grande théorie de la traduction psychique, selon l'optique de la psychanalyse, qui commença chez Freud (Lettre 52/112 à Wilhelm Fliess[5]). Mais dans l'histoire, notamment dans l'histoire de la littérature et, plus spécifiquement encore, dans l'histoire de la littérature allemande, la référence à Hölderlin engage tout le chapitre en « science de la littérature » ou « études germaniques » (Germanistique) de la réception des traductions de Sophocle par Hölderlin dans la littérature (allemande) du « temps de Goethe » (la Goethezeit(de)) dans l'après-coup: par-delà, aussi, cela engage, toujours après coup, le chapitre, en retour de la « littérature (allemande) appliquée à la psychanalyse (française) », de l'application d'une théorie sur les psychoses de la psychanalyse française, alors à l'égide de Jacques Lacan, à une interprétation herméneutique rétroactive de l'autre ou « étranger », c'est-à-dire en psychanalyse de l'inconscient, par exemple, donc, chez le très grand poète et penseur Hölderlin (Cf. Jean Laplanche, Hölderlin et la question du père, 1961). L'histoire de cette réception n'est évidemment pas finie dans le transfert interculturel provoqué au cours du temps. Dans le domaine propre d'une théorie « allemande » de la traduction, il s'agirait en outre de distinguer entre plusieurs courants de pensée (impliquant des filiations en philosophie allemande) émanant de plusieurs auteurs et œuvres, ainsi de faire la différence entre la théorie de la traduction poétique de Hölderlin (Remarques sur Œdipe et Antigone), complètement refusée de son temps, et ce qui arrive avec le romantisme allemand.
« À la lumière des discussions approfondies qui agitèrent l'Allemagne à l'époque "romantique", et quelles que soient les importantes différences entre Herder, Goethe, Schlegel[Lequel ?], Novalis, Hölderlin, Humboldt ou Schleiermacher, ce qui ressort, d'une façon générale, c'est que "la théorie allemande" de la traduction se construit consciemment contre les traductions "à la française"[6] »
— Antoine Berman, L'épreuve de l'étranger, p. 62, cité dans Traduire Freud, p. 9.
Bibliographie
Barbara Godard, « L'éthique du traduire : Antoine Berman et le « virage éthique » en traduction », in Traduction, terminologie, rédaction, volume 14, numéro 2, 2e semestre 2001, p. 49-82[7].
↑Antoine Berman, L'Épreuve de l'étranger, Paris, Gallimard, 1984, p. 62 : Cette référence est citée dans les « principes généraux » de Traduire Freud d'André Bourguignon, Pierre Cotet, Jean Laplanche, François Robert, pour les OCFP, traduction en France des Œuvres Complètes de Freud, Paris, PUF, 1989, p. 9 : « le livre d'Antoine Berman sur l'histoire de la traduction en Allemagne », disent les auteurs de Traduire Freud, « fournit des repères très utiles ». Le titre du livre d'Antoine Berman, L'Épreuve de l'étranger est une référence à Hölderlin qu'on trouve dans un extrait de l'ébauche du poème Mnémosyne, qui a pris valeur d'exergue dans le livre de Jean Laplanche, Hölderlin et la question du père (1961):
« [...] et nous avons presque Perdu la langue à l'étranger. »
↑Antoine Berman, L'épreuve de l'étranger, Paris, Gallimard, 1984, p. 62: cité dans les « principes généraux » de Traduire Freud, Paris, PUF, 1989, (ISBN2 13 04 2342 6), p. 9.