Au sujet de l'origine de cette chanson, J.-B. Weckerlin[2] écrit : « La plus ancienne date que je puisse citer pour Ah ! vous dirai-je, maman ? est 1740, puis les Folies de Coraline, pièce jouée en 1745 à la Comédie italienne. » Weckerlin ne précise pas la référence de 1740 et ne dit pas s'il s'agit du texte, de la mélodie ou des deux. Selon Henri Davenson, le point de départ est une bergerie (petit poème évoquant les amours de bergers[3]) anonyme datant de 1740, alors que les paroles enfantines, parodie pudique (« papa veut que je raisonne... »), sont plus « récentes »[4]. Selon Martine David et Anne-Marie Delrieu, les paroles enfantines n'apparaissent que dans les recueils de la fin du XIXe siècle, lorsque l'école primaire devient obligatoire[5].
La mélodie est éditée notamment en 1761 (François Bouin, La Vielleuse habile[6],[7],[8]) et en 1762 (Les Amusements d'une heure et demy de M. Bouin, où est indiqué le titre Ah ! vous dirai-je Maman mais non les paroles[9]) et en 1783 (Michel Corrette, La belle vielleuse[10],[8]). Le recueil de timbres la Clef du Caveau[11],[12] (1811) la présente sous le numéro 25, avec la mention, « musique de Rameau et Campra »[5].
L'association de la mélodie et des paroles de la romance du XVIIIe siècle, apparaît pour la première fois dans Le Chansonnier François, ou Recueil de Chansons, avec les Airs notés à la fin (1760-1762)[13] et l'on en connaît une autre version imprimée à Bruxelles en 1774, sous le titre La Confidence naïve[14], ainsi qu'une version imprimée à Paris en 1780, intitulée Les Amours de Silvandre[7]. Ce texte est attribué parfois à Florian[15],[5] auteur du célèbre Plaisir d'amour.
Cette mélodie a été notamment popularisée par les douze variations pour piano (1781 ou 1782)[16] de Wolfgang Amadeus Mozart, à qui on attribue souvent, à tort, la composition de la mélodie elle-même. La première édition date de 1785.
La Confidence
Les paroles de la chanson enfantine sont une parodie d'un poème d'amour anonyme, La Confidence[17] :
Ah ! vous dirai-je, maman,
Ce qui cause mon tourment ?
Depuis que j'ai vu Sylvandre[5],[12],
Me regarder d'un air tendre ;
Mon cœur dit à chaque instant :
« Peut-on vivre sans amant ? »
L'autre jour, dans un bosquet,
De fleurs il fit un bouquet ;
Il en para ma houlette
Me disant : « Belle brunette,
Flore est moins belle que toi ;
L'amour moins tendre que moi.
Étant faite pour charmer,
Il faut plaire, il faut aimer ;
C'est au printemps de son âge,
Qu'il est dit que l'on s'engage.
Si vous tardez plus longtemps,
On regrette ces moments. »
Je rougis et par malheur
Un soupir trahit mon cœur.
Le cruel avec adresse,
Profita de ma faiblesse :
Hélas, maman ! un faux pas
Me fit tomber dans ses bras.
Je n'avais pour tout soutien
Que ma houlette et mon chien.
L'amour, voulant ma défaite,
Ecarta chien et houlette ;
Ah ! qu'on goûte de douceur,
Quand l'amour prend soin d'un cœur !
Paroles et musique
Paroles
Variante
Autre variante
Ah ! vous dirai-je, maman,
Ce qui cause mon tourment.
Papa veut que je raisonne,
Comme une grande personne.
Moi, je dis que les bonbons
Valent mieux que la raison.
Ah ! vous dirai-je, maman,
ce qui cause mon tourment.
Papa veut que je demande
de la soupe et de la viande...
Moi, je dis que les bonbons
valent mieux que les mignons.
Ah ! vous dirai-je, maman,
ce qui cause mon tourment
Papa veut que je retienne
des verbes la longue antienne...
Moi, je dis que les bonbons
valent mieux que les leçons.
La comptine de tradition populaire française Quand trois poules vont au champ, se chante aussi sur l'air de Ah! vous dirai-je, Maman :
Quand trois poules vont au champ
La première va devant
La seconde suit la première
La troisième vient la dernière
Quand trois poules vont au champ
La première va devant.
Autres paroles en français
Le licenciement de la garde nationale ou Rira bien qui rira le dernier[18], dans Marie aîné, Les coups de brosse : chansons politiques sur le précédent et sur le nouveau système, contes et autres pièces légères (Paris, 1832), p. 61
Comment je suis devenu tempérant[19]Mémoires de la Société dunkerquoise pour l'encouragement des sciences, des lettres et des arts 36, 1902, p. 571
Récit naïf d’un enfant rapporteur[20]Le chansonnier omnibus (Paris, 1834), p. 62
Une version allemande existe : Morgen kommt der Weihnachtsmann (« Demain passe le père Noël »)
d'August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (1798–1874) publiée vers 1840.
Morgen kommt der Weihnachtsmann,
Kommt mit seinen Gaben.
Trommel, Pfeife und Gewehr,
Fahn und Säbel und noch mehr,
Ja ein ganzes Kriegesheer,
Möcht’ ich gerne haben.
Bring’ uns, lieber Weihnachtsmann,
Bring’ auch morgen, bringe
Musketier und Grenadier,
Zottelbär und Panthertier,
Roß und Esel, Schaf und Stier,
Lauter schöne Dinge.
Doch du weißt ja unsern Wunsch,
Kennest unsere Herzen.
Kinder, Vater und Mama,
Auch sogar der Großpapa,
Alle, alle sind wir da,
Warten dein mit Schmerzen.
Il existe aussi une autre version en allemand qui sert à mémoriser la façon de prononcer l'alphabet dans cette langue[23].
Version néerlandaise (premier vers)
« Altijd is Kortjakje ziek
Midden in de week maar 's zondags niet
's Zondags gaat zij naar de kerk
Met een boek vol zilverwerk
Altijd is Kortjakje ziek
Midden in de week maar 's zondags niet. »
« Tous les jours Kortjakje[24] est malade
En milieu de semaine mais pas dimanche
En dimanche elle va à l'église
Avec son livre à serrure d'argent
Tous les jours Kortjakje est malade
En milieu de semaine mais pas dimanche. »
Une version anglaise existe : Twinkle, Twinkle, Little Star (« Brille, brille, petite étoile »). C'est une des chansons enfantines anglaises les plus populaires. Elle a été adaptée avec un poème de Jane Taylor (The Star). Cette poésie a été publiée en 1806 dans une collection de poèmes Rhymes for the Nursery.
« Twinkle, twinkle, little bat!
How I wonder what you're at!
Up above the world you fly,
Like a tea tray in the sky.
Twinkle, twinkle, little bat!
How I wonder what you're at! »
Brille, brille petite chauve-souris !
Comme je me demande ce que tu manigances.
Tu survoles de haut le monde
Comme un plateau à thé dans le ciel.
Brille, brille petite chauve-souris !
Comme je me demande ce que tu manigances.
Twinkle, twinkle, little bat, watch me kill your favourite cat!
Ah, te dirais-je, cher Batou… qui va tuer ton gentil matou ?
Il existe plusieurs versions entières en français qui peuvent se chanter sur le même air[25]. La traduction « Brille, brille, petite étoile/Je me demande où est ton voile » est utilisée dans la version française du film Chérie, j'ai agrandi le bébé.
Version portugaise
Três galinhas a cantar
Três galinhas a piar
vão p’ro campo passear;
a da frent’é a primeira
log’as outras em carreira,
vão assim a passear
os bichinhos procurar[réf. souhaitée]
Version vietnamienne
Une version vietnamienne existe : Cùng quây quần (« Chantons ensemble »)[26].
Alphabet
Dans plusieurs langues (français, anglais, allemand, danois[réf. souhaitée]...), la mélodie de Ah! vous dirai-je, maman est utilisée pour apprendre les lettres de l'alphabet aux enfants sous forme de chanson[27],[28].
Variations
Tradition populaire
La chanson a servi de base mélodique et harmonique à de nombreuses variations enfantines et populaires. Par exemple, en variations rythmiques temps par temps, À la pêche aux moules et Le Palais-Royal est un beau quartier sont issus directement de Ah ! vous dirai-je, maman :
Wolfgang Amadeus Mozart a composé pour le piano douze Variations sur « Ah ! vous dirai-je, maman », K.265. On a pensé longtemps qu'il écrivit cette œuvre à Paris en 1778, mais des études graphologiques ont amené à placer la composition à Vienne en 1781-1782[16], époque où Mozart était âgé de 25 ans. Georges de Saint-Foix note que, dans ces variations, un usage systématique des accords de seconde (fausses relations) donne un caractère moderne à l'harmonie. Il ajoute : « ce thème varié, mis en regard de tant d'autres qui tentent de varier le même sujet vers le même temps, nous apparaît, malgré son but ou son apparence pédagogique, comme prodigieusement au-dessus de ceux que nous avons eu l'occasion de consulter[29] ».
Autres compositeurs classiques
Les compositeurs suivants ont aussi utilisé cette chanson dans leurs compositions :
La chanson originale (galante) a été enregistrée par l'ensemble Le Poème harmonique, dir. Vincent Dumestre, chant Claire Lefilliâtre, album « Plaisir d'amour, Chansons et romances de la France d'autrefois » (, Alpha 513) (OCLC690167661).
↑J.-B. Weckerlin, Chansons Populaires du Pays de France, avec notices et accompagnements de piano, Tome second, Paris, 1903, p. 36, [lire en ligne] lire en ligne sur Gallica.
↑Henri Davenson, Le livre des chansons : ou Introduction à la connaissance de la chanson populaire française : s'ensuivent cent-trente-neuf belles chansons anciennes choisies et commentées, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, coll. « Cahiers du Rhône », , 589 p. (OCLC979573548, BNF32422046), p. 567. Nouvelle édition mise à jour, Club des Libraires de France, 1958, p. 375. H. Davenson ne précise pas où la bergerie anonyme de 1740 fut éditée pour la première fois.
↑ a et b(en) George List, « The Distribution of a Melodic Formula: Diffusion or Polygenesis? », Yearbook of the International Folk Music Council, vol. 10, (1978), p. 33-52.
↑ a et bMentionné dans le livret du disque « Plaisir d'amour, Chansons et romances de la France d'autrefois », Ensemble Le Poème harmonique, dir.Vincent Dumestre (juin 2004, Alpha).
↑Album Chansons "Très" Libertines (1963), Colette Renard, accompagnée par Raymond Legrand et son orchestre, chansons recueillies et adaptées par Guy Breton. Voir le site Je chante !.
↑Les plus belles chansons du temps passé, Hachette, 1995, p. 16.
↑Kortjakje (littéralement : « Blousecourte ») est un surnom / métaphore pour (selon la tradition) une femme de faible moralité, comme une alcoolique ou une prostitué. (Elle est malade et au lit tous les jours).
↑Guy Sacre, La musique de piano : dictionnaire des compositeurs et des œuvres, vol. II (J-Z), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 2998 p. (ISBN978-2-221-08566-0), « Xavier Montsalvatge », p. 1963.